L’Évangile bien compris intéresse la totalité de l’homme, non seulement son âme mais aussi son corps, non seulement son bien-être spirituel, mais aussi son bien-être matériel. Une religion qui s’affirme concernée par les âmes des hommes et qui ne l’est pas également par les bidonvilles qui les damnent, les conditions économiques qui les étranglent et les situations sociales qui les paralysent, n’est qu’une religion spirituellement moribonde.
Pendant un temps je fus près de désespérer du pouvoir de l’amour dans la solution des problèmes sociaux. Les systèmes tels que présente-l’autre-joue et aime-tes-ennemis sont valables, pensai-je, uniquement dans les conflits d’individu à individu. Mais si les groupes raciaux et les nations sont en conflit, il faut une méthode plus réaliste.
Je fis alors connaissance avec la vie et les enseignements du Mahatma Gandhi. Et je fus profondément captivé par ses campagnes de résistance non-violentes… Tout le concept gandhien de satyagraha ( satya est la vérité qui correspond à l’amour et graha est la force ; satyagraha signifie donc vérité-force ou amour-force ) avait pour moi une signification profonde… Mon scepticisme sur le pouvoir de l’amour, alors, diminua progressivement. J’en arrivai à voir pour la première fois que la doctrine chrétienne de l’amour, mis en œuvre par la méthode gandhienne de non-violence, est l’une des armes les plus puissantes dont puisse disposer un peuple opprimé dans sa lutte pour la liberté. Mais ce n’étaient encore que compréhension et jugements intellectuels sans dessein pratique dans un contexte social réel.
Lorsqu’en 1954 je partis comme pasteur à Montgomery en Alabama, je n’avais pas la moindre idée que je serais plus tard impliqué dans une crise où la résistance non-violente serait applicable. J’avais vécu environ un an . dans la communauté lorsque se déclencha le boycottage des autobus. Poussé à bout par des expériences humiliantes qu’ils avaient constamment affrontés dans les autobus, les Noirs de Montgomery exprimèrent dans une action massive de non-coopération leur volonté d’être libres. Ils trouvèrent qu’il était en fin de compte plus honorable d’aller à pied dans les rues avec dignité que de rouler en autobus dans l’humiliation. Au début de cette protestation, les gens me demandèrent d’être leur porte-parole. En acceptant cette responsabilité, mon esprit consciemment ou inconsciemment, fut ramené au Sermon sur la Montagne et à la méthode gandhienne de résistance non-violente. Ce principe devint l’étoile directrice de notre mouvement. Le Christ donnait l’esprit et la motivation, Gandhi fournissait la méthode.
L’expérience de Montgomery fit plus pour clarifier mes idées sur la non-violence que tous les livres que j’avais lus. Au fil des jours, je me convainquais toujours davantage de la puissance de la non-violence. Elle devint beaucoup plus qu’une méthode que j’avais approuvée intellectuellement, elle devint un engagement dans un style de vie. De nombreux points que je n’avais pas réussi à clarifier intellectuellement au sujet de la non-violence se trouvèrent désormais résolus dans le domaine de l’action pratique.
Je ne voudrais pas donner l’impression que la non-violence peut accomplir des miracles du jour au lendemain… Et je suis certain que beaucoup de nos frères blancs à Montgomery et partout dans le Sud restent amers envers les meneurs noirs, bien que ceux-ci aient choisi une voie d’amour et de non-violence. Mais la méthode non-violente atteint les coeurs et les âmes qui se vouent à elle. Elle leur donne un nouveau respect de soi. Elle fait appel à des réserves de force et de courage qu’ils ne savaient pas posséder. Finalement, elle émeut la conscience de l’adversaire au point que la réconciliation devient une réalité.