J’étais prêtre depuis 22 ans quand je fus nommé aumônier d’hôpital. Auparavant, j’avais connu la vie paroissiale. Rencontre de tous les âges de la vie, du baptême aux enterrements : catéchisme, animation des équipes de jeunes et d’adultes, organisation des camps de vacances, liturgies les plus diverses…Vicaire puis curé, je me suis passionné pour chacune de ces activités pastorales, soucieux et heureux d’annoncer la bonne nouvelle de Jésus-Christ au cœur de la vie. Fils de la Charité, j’ai exercé ce ministère en milieu ouvrir et j’ai toujours été saisi du plus grand respect pour les plus simples. J’ai eu aussi à me compromettre lors de conflits sociaux.
L’Église vivait l’élan missionnaire qui s’est épanoui au moment du Concile. Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur (Constitution pastorale, L’Église dans le monde de ce temps, n°1).
La maladie, la souffrance, la mort m’apparaissaient alors comme une cassure du dynamisme qui soutient les activités des hommes. Au contraire, j’ai découvert là l’intensité de vie que je n’avais jamais connue. Et ce ministère a éclairé ma route passée. Je me suis aperçu qu’il ne s’agissait pas simplement d’aimer un aspect de la vie : la beauté, le travail, la justice ou même l’amour mais d’aimer la vie pour elle-même. J’ai découvert comme jamais que Dieu est Vie.
Ces lignes ont été écrites comme un témoignage. Peut-être que ces pages aideront-elles quelques-uns à vivre ces moments douloureux avec espérance et à savoir que l’on peut y rencontrer Dieu. Qu’elles disent ma reconnaissance à tous ceux qui m’ont entraîné à aimer la vie.
Conclusion (p 153-155)
J’ai compris à l’hôpital plus que jamais que Dieu est vie. Souvent nous n’osons pas vivre au maximum de nos possibilités : peur de se compromettre, de se risquer, de parler vrai – de crainte de perdre des avantages, de perdre la vie !
A l’hôpital, quand la santé est atteinte et que la vie elle-même est compromise, la peur de perdre la vie ou la santé est dépassée. Il reste la vie. Et l’on se prend à aimer la vie pour elle-même et pour aucune autre raison. Auparavant, on avait des raisons de vivre, ici, il reste le goût de vivre.
A l’hôpital j’ai rencontré beaucoup de souffrance. J’ai accompagné bien des mourants, assisté des familles en deuil, célébré de nombreux enterrements. J’ai entendu des cris de révolte et ressenti au plus profond de moi ce rejet et ce refus de la mort froide et absurde en tous points contraire à la vie. Qu’y a-t-il de plus douloureux et de plus insupportable que la douleur d’une maman qui perd son enfant ? Souvent j’ai été envahie par une peine immense quand je me retrouvais seul.
Mais, dans les mêmes temps, j’ai découvert avec surprise que les malades mobilisent une énergie intense pour faire face à l’épreuve et affronter l’inconnu. Avec un étonnement chaque fois renouvelé, j’ai vu les mourants aborder cet aspect nouveau de leur existence avec des sentiments d’une grande noblesse de cœur. Quand le temps se concentre dans l’instant, et que toute une vie de relation culmine en un regard, quelle vie !
J’ai voulu témoigner de cette lumière qui jaillit dans la nuit. Je crois que ceux qui soignent et visitent les malades et les mourants ont conscience de vivre ce temps fort de la vie. En tout cas, ils accompagnent et aident de leur mieux ceux qui les vivent.
En accomplissant mon ministère sacerdotal, j’ai toujours eu le souci de dire Dieu dans la vie, d’établir le lien entre la vie et la foi. Cette osmose se réalise dans tous les événements de la vie publique et privée. La vie et la foi grandissent et s’épanouissent en celui ose vivre, choisir, prendre ses responsabilités, parler vrai, risquer sa vie pour la justice et par amour pour ceux qu’il aime. Cette vie n’est pas seulement guidée par l’esprit du monde. Un autre esprit guide celui qui sait donner sa vie pour ses amis. Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande (Jn 15, 14) ; Mon commandement est de vous aimer les uns les autres (Jn 14, 12). Celui qui veut garder la vie la perdra. Celui qui la perd à cause moi la sauvera (Mt 16, 25). A l’hôpital, je n’ai pas vécu autre chose, je l’ai vécu plus intensément. La découverte de l’amour peut favoriser la conversion, la découverte de Dieu en Jésus-Christ ; le dépouillement total peut entraîner une rencontre de Dieu imprévue, immédiate et profonde. Parce qu’il est la vie, le commencement et le terme ; la source.
Quand Jésus annonçait sa venue, il parlait d’apocalypse : les étoiles tomberont, les puissances des cieux seront ébranlées… (Mt 24, 29). Et sa mort est en effet le plus grand cataclysme de l’histoire : les hommes ont préféré tuer Dieu plutôt que de l’entendre. Mais cette mort n’est as une destruction finale. Elle est métamorphose. Cette vie pauvre, douce, pacifique et persécutée, est devenue pour tous les hommes source inépuisable d’amour sans fin. La mort en est transformée, elle s’ouvre sur la vie.