La loi de l’enclos
En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui n’entre pas par la porte dans la bergerie, mais pénètre par une autre voie, celui-là est le voleur et le pillard ; celui qui entre par la porte est le pasteur des brebis. Le portier lui ouvre et les brebis écoutent sa voix. Ses brebis à lui, il les appelle une à une et les fait sortir. Quand il a mis dehors ses bêtes, il marche devant elles et les brebis le suivent, parce qu’elles connaissent sa voix. Elles ne suivront pas un étranger, elles le fuiront au contraire, parce qu’elles ne connaissent pas la voix des étrangers. Jésus leur dit cette parabole, mais ils ne comprirent pas ce qu’il voulait leur dire. Jésus dit alors:
En vérité, en vérité, je vous le dis, je suis la porte des brebis. Tous ceux qui sont venus sont des voleurs et des pillards, mais les brebis ne les ont pas écoutés. Je suis la porte. Qui entrera par moi sera sauvé ; il entrera et sortira et trouvera sa pâture. Le voleur ne vient que pour voler, égorger et détruire. Moi, je suis venu pour que les brebis aient la vie et l’aient en abondance.
Commentaire :
Cette page de l’évangile de Jean est authentique même s’il faut y reconnaître, intimement mêlées aux paroles de Jésus les interprétations ultérieures de l’évangéliste. Jean a médité l’enseignement de Jésus et l’a reformulé dans son propre langage. Tout son évangile est d’ailleurs ainsi constitué : une reconstitution marquée au coin de l’authenticité, mais reformulée à l’intention de la jeune communauté primitive et ses besoins. Ce genre littéraire propre au disciple que Jésus aimait est à la fois réaliste et imagé.
Pour bien saisir le sens et la portée de ce discours sur le bon Pasteur, il faut le joindre au récit précédent. L’épisode de l’aveugle-né que les Pharisiens ont orgueilleusement rejeté et chassé de la synagogue, mais que Jésus attire à lui, sert d’occasion à ce discours et justifie l’enseignement de Jean à sa communauté. Ce chapitre est marqué au coin de la réalité vécue de l’Église d’après Pâques et de son désir de fidélité à l’action et à l’enseignement de Jésus. Faut-il croire qu’à cette époque, la communauté primitive manquait d’unité et de concorde ?
Deux parties constituent ce discours sur le bon Pasteur : une première (1 à 5) concerne le pasteur et l’enclos, et une seconde (7 à 10) touche le pasteur et son troupeau. L’une et l’autre partie débutent de façon identique : En vérité, en vérité. A l’encontre des autres évangélistes, Jean redouble la locution En vérité pour marquer davantage l’autorité divine de la parole de Jésus (Jn.3 : 34; 14 : 24). Et dans les propos qui vont suivre, Jésus, par l’intermédiaire de Jean, s’adresse non plus aux Juifs ou aux Pharisiens, mais aux fidèles de l’Église post pascale et à ses pasteurs.
LE PASTEUR ET L’ENCLOS (1-5)
Si Jean ne pointe plus ici les Pharisiens comme Jésus en son temps, il met en garde contre ce que Jésus appelait le levain des pharisiens , l’influence de ces maîtres (Mat. 16 : 6). Pour ce faire, il établit une franche opposition entre le voleur et le pillard d’une part, et le pasteur des brebis d’autre part, la distinction se basant sur leur façon de pénétrer dans l’enclos, le chemin qui mène aux brebis. Jean veut montrer dans ce récit comment se comportent les vrais pasteurs et guides du peuple ; hier, c’étaient les pharisiens représentant l’autorité religieuse en Israël ; aujourd’hui, les évêques et les prêtres. Le point fort de cet enseignement ne repose pas tellement sur la porte que sur le climat de confiance que le vrai pasteur sait établir entre lui et les brebis qu’il lui appartient de conduire.
Toutes ces images, empruntées à la vie quotidienne du berger, se rapportent ici à Jésus le Bon Pasteur. Et ce climat de confiance qu’il établit entre lui et ses brebis se définit par le fait qu’il peut appeler chacune de ses brebis par son nom et que les brebis entendent la voix du pasteur et se montrent accessibles à son appel. Le pasteur vient pour faire sortir ses brebis et même les pousser hors de l’enclos, vers des prés d’herbes fraîches et vers les eaux du repos, pour y refaire mon âme. (Ps.23), ce que l’étranger ne ferait pas.
Ce bref passage de l’évangile du Bon Pasteur est plein de leçon pour nous comme pour l’Église de Jean. Juifs convertis, encore retenus par leurs traditions et l’influence de leurs anciens maîtres, le bon Pasteur vient pour les tirer de cet enclos et les mettre en confiance et avec cette Bonne Nouvelle, rejetée par les Pharisiens, les faire sortir de l’enclos du judaïsme et de son esprit légaliste encore fortement ancré dans l’esprit des néophytes. Il n’y a qu’à relire les Actes des Apôtres et nous remémorer les innombrables difficultés de Paul face aux Juifs dans la fondation de ses églises.
Quelle leçon pour les responsables d’église et pour les brebis ! Même si l’image du troupeau prête à confusion ou crée certaine humiliation – nous ne sommes et ne voulons être des suiveux – le Bon Pasteur rassemble les brebis, les unes comme les autres en son individualité propre et l’appel personnalisé qu’il lance à chacune. Ce qui identifie les brebis est que chacune écoute la voix du Pasteur et demeure fidèle à le suivre ; la condition est de secouer les traditions et le conservatisme légaliste qui nous garde comme en un enclos. Quel coup de barre de l’apôtre Jean à sa jeune église !
LE PASTEUR ET SES BREBIS (7-10)
Que Jésus se compare ou que Jean le compare à la porte, l’image n’est à prendre de façon concrète : Jésus assume la fonction d’une porte, par laquelle les brebis vont et viennent, entrent et sortent ; la porte qui se ferme pour écarter l’étranger mais s’ouvre pour laisser entrer et sortir librement les connaissances. Cette fois, Jean verse dans le ton historique. Avant la venue de Jésus, il n’y avait que voleurs et pillards, non envoyés par Dieu, et les brebis ne les ont pas écoutés. Il va sans dire que Jésus ne met pas au rang des voleurs et pillards des prophètes tels que Jean Baptiste et les hommes de Dieu de l’Ancien Testament.
Les voleurs et pillards sont les Pharisiens, Docteurs de la loi, chefs politiques et faux messies, égoïstes et sans respect de l’autorité que Jésus condamne inexorablement (8 : 44; 47) parce qu’ils ne parlaient que d’eux-mêmes et ne cherchaient que leur propre gloire (7 : 17). Ce qui intéresse Jésus, seul vrai et bon Pasteur, sont les brebis qui viennent à lui ; il sera pour eux la porte ouverte sur le salut. Il ne s’agit donc point ici d’un lieu mais d’un état auquel Jean fait de fréquentes allusions (3 : 17; 4 : 42; 12 : 47). Les brebis du pasteur, le baptisés anciens et nouveaux, trouvent leur pâture et peuvent se rassasier en Église, source de liberté et de nourriture en abondance. Je suis venu pour que mes brebis aient la vie et l’aient en abondance. (3 : 16; 4 : 14; 5 : 16; 10 :28)
RÉVÉLATION
Si l’apôtre Jean a inscrit pareille réflexion dans sa catéchèse, c’est d’abord pour démasquer les adversaires, mais davantage pour révéler le rôle de sauveur qu’ont tenu et tiennent toujours Jésus et l’Église naissante pour ceux et celles qui viennent à elle. Il définit entre le Pasteur et ses brebis une relation de connaissance et de compréhension réciproques, une communion profonde fondée sur l’offrande que fait le bon Pasteur de sa propre vie.
Le discours trouve aujourd’hui encore son lieu par le fait d’innombrables faux messies et non moins en vue de l’unité de l’Église, c’est à dire de tous ceux qui croient au Christ. Ainsi se fera l’unité oecuménique malgré la permanence ou la difficulté d’effacer toutes les diversités. Nul discours ne peut davantage nous rattacher au Christ, Bon Pasteur, et à son Église. Leur amour nous enveloppe et nous ouvre les portes du salut. Telle est la nouvelle loi de l’enclos.