C’en est assez !
Jésus ajouta : N’allez donc pas craindre les hommes ! Non, rien ne se trouve voilé qui ne doive être dévoilé, rien de caché qui ne doive être connu. Ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le au grand jour ; et ce que vous entendez dans le creux de l’oreille, proclamez-le sur les toits. Ne craignez rien de ceux qui tuent le corps mais ne sauraient tuer l’âme ; craignez plutôt celui qui peut perdre dans la géhenne à la fois l’âme et le corps. Ne vend-on pas deux passereaux pour un as ? Et pas un d’entre eux ne tombe au sol à l’insu de votre Père ! Et vous donc ! Vos cheveux même sont tous comptés ! Aussi, soyez sans crainte ; vous valez mieux, vous, qu’une multitude de passereaux. Quiconque se déclarera pour moi devant les hommes, je me déclarerai à mon tour pour lui devant mon Père qui est dans les cieux ; mais celui qui me reniera devant les hommes, je le renierai à mon tour devant mon Père qui est dans les cieux.
Commentaire :
Le discours apostolique de Matthieu (10) , le deuxième des cinq que comporte son évangile, se présente comme un ensemble sur la condition du disciple, et se divise en trois sections : la mission confiée aux disciples ( 9 : 35 – 10 : 16) , les persécutions qu’ils auront à subir (10 : 17-25) et les conditions pour marcher à la suite de Jésus. (10 : 26-33) Cette dernière partie comporte des sentences particulièrement utiles à l’Église de notre temps. Les deux premiers segments se rattachent davantage à l’histoire du temps de Jésus, ils définissent le vrai disciple : un envoyé par l’ordre et la grâce d’une volonté supérieure. C’est Jésus qui choisit, appelle et envoie ; l’état de disciple se réalise par l’acceptation de ce choix, l’écoute de l’appel et l’obéissance dans la vie de chaque jour.
Le passage retenu pour ce dimanche (10 : 26-33) est vraisemblablement contemporain à l’évangéliste et rédigé en fonction de la communauté primitive. Matthieu veut expliquer à son église quelle sera la vie du disciple à la suite de Jésus, le tout placé sous le titre : N’ayez crainte ! Ce mot d’ordre évoque à notre mémoire la marche inaugurale de Jean-Paul II sur le parvis de Saint-Pierre le jour de son intronisation ; ici, l’invitation est en référence à des adversaires contemporains de l’évangéliste.
N’ayez crainte ! Trois motifs sont ici précisés. Le premier concerne le message de Dieu : Ce qui reste encore caché va se révéler au grand jour, ce qui demeure enténébré se manifester, ce qui est murmuré au creux de l’oreille sera proclamé sur les toits. Rien de caché qui ne doive être dévoilé. Confiance en l’œuvre de Dieu accomplie par Jésus et sa Parole ; même si le succès s’avère mince ou nul, ne jamais perdre courage. Le jour fera place à la nuit.
Le deuxième motif concerne la vie des disciples : elle sera hors de portée de l’ennemi. Ce dernier peut bien s’attaquer à la vie du corps, l’étouffer, la détruire, mais il ne possède aucun pouvoir sur la vraie vie, l’existence profonde de l’homme fondée en Dieu. Cette vie, Dieu l’assure définitivement : elle ne peut ainsi être diminuée, enlevée ou même détruite ; elle est gardée par la crainte et la Parole vivante de Dieu en son peuple.
Le troisième et dernier motif repose sur la Providence qui veille sur toute la création, non par quelque loi impersonnelle qui décide et détermine de tout à l’avance, mais par une personnelle et paternelle vigilance de Dieu. Ne valez-vous pas plus qu’un passereau ?
EN NOTRE TEMPS D’ÉGLISE
Les versets qui terminent ce passage précisent que l’absence de toute crainte rend l’homme libre et capable de confession de foi. Le disciple est envoyé et destiné à proclamer Jésus à temps et à contretemps, ainsi que le recommandait Paul à Timothée (2e : 4) et ce témoignage requiert un engagement personnel et total. Le disciple doit faire sien inconditionnellement le parti de Jésus. Ainsi pourra-t-il compter sur lui pour plaider sa cause devant son juge. Loin de porter un jugement, comme il en a le pouvoir (Jn.5:22+) , Jésus se fera son avocat, son défenseur. (1 Jn.2 :1)
Comment lire entre les lignes et évoquer concrètement la situation à peine voilée des débuts de la communauté primitive, maintenant vécue en ce temps d’Église qui est nôtre, sans évoquer l’exemple de Jérémie (11 : 18+ ; 15 : 10+ ; 17 : 14+ ; 18 : 18+ 20 : 7+). Si au temps de Matthieu, les juifs et divers opposants faisaient le vie dure aux premiers disciples du Christ, le croyant, de nos jours, est considéré comme un gêneur et un trouble-fête. L’opposition peut même émaner intérieurement de la communauté chrétienne : quels sont les faux prophètes qui hantent déjà cette communauté ? ( 1 Jn.2 : 19) Le fidèle peut même devenir son propre adversaire en remettant en question son témoignage de foi devant les hommes. Le prophète Jérémie se plaignait : Ah ! Seigneur, vois, je ne sais pas parler. (1 : 6) Et qui osera et pourra défier la folie du monde ? L’apôtre Paul a connu semblable contestation : Pressé, mais non écrasé, persécuté mais non abandonné, terrassé mais non anéanti. Nous sommes sans cesse livrés à la mort à cause de Jésus… (2 Cor. 4 : 8-12) L’espérance chez Jérémie comme chez Paul déroutait toute forme de crainte. En témoigne cette conclusion du chapitre 8 de la lettre de Paul aux Romains : Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous … (8 :31-39).
Paralysé par la crainte, objet de vengeance, et comme Jérémie, envie de crier à Dieu : C’en est assez ! Risque de devenir esclave de son propre personnage, tel est l’immense danger qui menace le témoin de la foi. L’exemple des Jérémie, Paul, sans oublier Job ne peut que nous inciter à tenir bien fort la main de Dieu dans la mission et à l’intérieur de notre vie d’envoyé. Mais la vérité de notre vie de témoin et du message que nous aurons à proclamer sur les toits, occasionnera l’expérience de la présence de Dieu et la connaissance du Christ missionnaire.
Jamais lassitude, désespoir ou infidélité ne pourra venir à bout de nos craintes.