Tranquilles les enfants !
Jésus leur proposa une autre parabole : Il en va du Royaume des Cieux comme d’un homme qui a semé du bon grain dans son champ. Or, pendant que les gens dormaient, l’ennemi est venu, il a semé à son tour de l’ivraie au beau milieu du blé, puis s’en est allé. Quand le blé est monté en herbe, puis en épis, alors l’ivraie est apparue aussi. Les serviteurs sont allés trouver le propriétaire pour lui dire : Maître, n’est-ce pas du bon grain que tu as semé dans ton champ ? D’où vient donc qu’il s’y trouve de l’ivraie ? – C’est quelque ennemi qui a fait cela, leur répond-il. – Veux-tu donc que nous allions le ramasser ? reprennent les serviteurs. – Non, dit-il, vous risqueriez, en ramassant l’ivraie, d’arracher en même temps le blé. Laissez l’un et l’autre croître ensemble jusqu’à la moisson, et au moment de la moisson, je dirai aux moissonneurs : Ramassez d’abord l’ivraie et liez-la en bottes que l’on fera brûler ; puis vous recueillerez le blé dans mon grenier.
Commentaire :
Ce chapitre des paraboles de l’Évangile de Matthieu (13 : 1-52) dénonce la crise que connaît la deuxième génération chrétienne : la masse du peuple juif converti s’égare. Tout ce passage des paraboles dévoile l’origine et les raisons mystérieuses de cette infidélité à la mission de Jésus. Pour Matthieu, le discours de Jésus en paraboles n’était pas, comme chez Marc (4 : 11), de nature à réserver à un groupe de privilégiés la révélation du Royaume de Dieu. Jésus parle en paraboles, sans le moindre désir d’aveugler, la foule l’était déjà (Is. 6 : 9-10). Les disciples sont les premiers qui entendent la Parole en paraboles et les comprennent. L’explication des paraboles apporte la confirmation d’une grâce qui a déjà commencé à porter fruit en eux. À eux, il est donné de connaître les mystères du Royaume des Cieux. (13 : 11) Les paraboles sont donc adressées à une foule aveuglée, tandis que les explications sont pour les disciples qui comprennent. Le schéma est toujours le même : exposé de la parabole (24-30), motif du langage (34-35) et explication (36-43).
PARABOLE
Cette parabole de l’ivraie et du bon grain est constituée d’un petit drame (24-26) suivi d’un dialogue. (27-30) Le sens paraît ici facile à dégager. Jésus a déjà commencé par sa Parole l’instauration du Royaume des Cieux. Alors comment se peut-il que l’infidélité subsiste et que les fautifs ne soient ni condamnés, ni éliminés, mais vont continuer à coexister avec les enfants du Royaume ? Tel est le scandale décrit de façon figurée par l’ivraie et le bon grain.. Est-il possible que le jugement qui sépare méchants et bons accuse le moindre retard ? Chez nous, l’impatience aurait sans hésiter fait le tri pour donner place au Royaume.
C’est donc une invitation à la patience et à l’humilité, mais davantage à l’espérance que prêche Jésus ou rappelle l’évangéliste à ses ouailles. La question de jugement repose exclusivement entre les mains de Dieu ; quant à nous, il convient de vivre dans la fidélité à la Parole du Royaume, et non de trouver en elle une orgueilleuse sécurité. Accepter une situation apparemment scandaleuse pour les fidèles signifie non seulement prendre patience, mais surtout vivre dans l’espérance. L’important sur terre est de porter du fruit. La distinction entre bons et mauvais relève de Dieu qui sonde les reins et les cœurs.
Quelle tonalité différente entre la prédication de Jésus, rapportée par Matthieu et celle de Jean-Baptiste, qui, d’une voix forte, clamait aux Pharisiens et aux Sadducéens : La pelle à vanner est en sa main et il va nettoyer son aire ; il recueillera son blé dans le grenier ; la balle, il la brûlera au feu qui ne s’éteint pas. (3 : 12) L’attente suscitée par la voix de Jean dut être déçue par les paroles de Jésus, qui non seulement accueille avec bienveillance les pécheurs et les femmes de mauvaise vie, mais refuse encore de constituer une communauté de purs, à l’exclusion de tous les autres voués au jugement et à la réprobation. Un certain mélange de pharisaïsme et de zélotisme s’était sans doute insinué au cœur des disciples, et la parabole de l’ivraie et du bon grain veut dénoncer à la fois ce faux zèle et le scandale provoqué. On comprendra dés lors tout le sens de la question des disciples de Jean-Baptiste au Christ : Es-tu celui qui doit venir ou faut-il en attendre un autre, toi qui tardes tant à nettoyer ton aire ?
INTERPRÉTATION
En 13 : 36-43, Matthieu reviendra sur la parabole de l’ivraie pour tenter en privé une explication aux disciples. Jésus seul peut donner aux siens de connaître les mystères du Royaume des Cieux. (13 : 11) Les versets 37-39 livrent un catalogue de définitions, tout en laissant dans l’ombre certains acteurs du drame de même que le dialogue. Les versets 40-43 commentent le verset 30 sous la forme d’une petite apocalypse centrée sur le jugement qui attend les fauteurs d’iniquités. Il existe tout de même un déplacement du centre d’intérêt entre la parabole et son interprétation. Là où l’on évoquait le jugement qu’il faut attendre avec patience et humilité, l’interprétation parle du sort réservé aux infidèles.
De quels fauteurs d’iniquité s’agit-il (41) ? Les mauvais chrétiens, les faux prophètes ? … Chose certaine, l’Église, le champ ne peut être identifié au Royaume. L’Église est sans doute le signe du Règne du Christ sans toutefois en être la réalité. Toutes les nations sont ici remises en question, royauté que revendiquera le Fils de l’homme au jour du jugement. Il faut donc refuser de trouver ici un jugement éventuel sur l’Église composée de pécheurs et de justes ou sur le monde hostile à l’Église.
Invitation au calme, à la tolérance, à l’acceptation de l’autre, n’est-ce pas là l’évangile de ce dimanche en son intégrité, l’exemple constant que nous donne Jésus, le mystère de Dieu qui fait pleuvoir la pluie sur les méchants comme sur les bons , le Dieu que Moïse adorait des siècles auparavant : Dieu de tendresse et de pitié, lent à la colère, riche en grâce et en fidélité, qui garde sa grâce à des milliers, tolère faute, transgression et péché, mais ne laisse rien impuni … (Ex. 34 : 6)
Tranquilles, les enfants ! Soyez patients comme Dieu est patient. Entretenez l’espérance !