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Parole et vie,

Responsable de la chronique : Dominique Charles, o.p.
Parole et vie

22e Dimanche du temps ordinaire. Année A.

Imprimer Par Jacques Sylvestre, o.p.

Premier reniement de Pierre

A dater de ce jour, Jésus commença à montrer à ses disciples qu’il lui fallait s’en aller à Jérusalem, y souffrir beaucoup de la part des anciens, des grands prêtres et des scribes, être mis à mort et, le troisième jour, ressusciter. Pierre, le tirant à lui, se mit à le morigéner en disant : « Dieu t’en préserve, Seigneur ! Non, cela ne t’arrivera point. » Mais Jésus se retournant dit à Pierre : « Passe derrière moi, Satan ! tu me fais obstacle, car tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. » Alors Jésus dit à ses disciples : « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même, qu’il se charge de sa croix et qu’il me suive. Qui veut en effet sauver sa vie la perdra, mais celui qui perd sa vie à cause de moi la trouvera. Que servira-t-il donc à l’homme de gagner le monde entier, s’il ruine sa propre vie ? Ou que pourra donner l’homme en échange de sa propre vie ? C’est qu’en effet le Fils de l’homme doit venir dans la gloire de son Père, avec ses anges, et alors il rétribuera chacun selon sa conduite. »

Commentaire :

Ce passage dramatique de Matthieu se compose de trois éléments : l’annonce de la Passion, la réaction de Pierre et l’indignation de Jésus. L’évangile de Matthieu comporte trois annonces de la Passion (M16 : 22-23 ; 17 : 23 et 20 : 20-23) suivies l’une et l’autre de l’incompréhension des disciples. Et chaque fois, Jésus étend à ses disciples la portée de sa propre mission. (16 : 24-28 ; 18 : 1-4 et 20 : 24-28) Retenons aussi que Jésus fait sans cesse référence à sa résurrection, la croix est constamment liée à la résurrection, la mort à la vie. Inséparable du maître, le disciple sera partie prenante de son destin. Ce passage constitue une unité littéraire indivisible, construite avec art.

ANNONCE DE LA PASSION

L’épisode fait apparaître un nouveau type d’incompréhension, d’incrédulité : les disciples reconnaissent le Fils du Dieu vivant tout en refusant qu’il doive mourir. Alors que Jésus tente de les faire progresser dans la connaissance du dessein salvifique de Dieu, les disciples s’y opposent. Pourtant, dans l’esprit de Jésus, la souffrance fait partie du plan de salut : « Il fallait. » (10 : 24+) Il ne s’agit pas simplement d’une conclusion d’ordre historique fondée sur les observations que Jésus tire de l’histoire et de son milieu contestataire, mais d’une claire conscience de sa mission et de la volonté de son Père. La passion ne constitue pas un fait d’exception, une finale manquée, mais le noyau, le cœur de la mission. Et c’est volontairement que Jésus se porte à la mort, sans pour autant être la victime d’un ensemble d’événements incontrôlables dans la logique de sa manifestation divine contestée. Cette fin, à la lumière du dessin de Dieu, il ne la prévoit pas humainement, mais comme un service, une obéissance. Et c’est de cela dont il veut convaincre ses disciples, la lecture du plan de Dieu. Matthieu, dans sa catéchèse, s’est certes inspiré du prophète (Is. 53). Mais rien ne s’oppose à ce que tout ce dont l’évangéliste fait mention puissent être considérés comme des prédictions après coup, un besoin de la communauté primitive de justifier des faits et d’accepter la pleine nécessité de la Passion. Ceci, toutefois, ne nous empêche nullement de faire remonter à Jésus la prise de conscience de cette nécessité.

RÉACTION DE PIERRE.

Pourtant dans les faits, les disciples ne veulent rien savoir. La solitude de Jésus se fait donc totale. Et la réaction de Pierre l’induit en tentation, ce qui lui vaut une rebuffade identique à celle du désert. Comme en saint Paul, Pierre a deux hommes en lui : le roc sur lequel l’Église est fondée, mais aussi la faiblesse, qui deviendra abandon et reniement. L’ordre de la nature contredit celui de la grâce. Faiblesse et grâce : thème usuel dans la Bible. (Is : 28)

Matthieu, dans la foulée de Jésus, s’empresse donc d’entreprendre l’éducation des siens : la souffrance du disciple est le lieu où la destinée du maître s’actualise. Les verbes « se renier soi-même; se charger de sa croix et me suivre » définissent non pas les conditions pour devenir disciples, mais les éléments constitutifs de l’existence du disciple. Il ne s’agit pas simplement d’un changement moral mais d’une véritable conversion personnelle, radicale et absolue qui engage toute la personne : acceptation du plan de Dieu tel qu’il est. C’est là une toute autre façon de concevoir Dieu et son amour. Le disciple ne doit pas fuir mais marcher à la suite de Jésus par une adhésion intérieure précédée d’un appel de Dieu et d’une réponse humaine. L’homme doit prendre part au salut offert par Dieu. L’apôtre Paul écrivait aux Philippiens : « Le connaître lui avec la puissance de sa résurrection et lui devenir conforme dans la mort, afin de parvenir si possible à la résurrection d’entre les morts. » (Phil. 3 : 10) Véritable communion aux souffrances avec le maître. Ce discours de Matthieu s’adressait alors à toute son église, il invitait ses fidèles à risquer leur vie pour le Christ, seule manière de la sauver : décider de vivre pour Jésus, être prêt à mourir avec lui, changer son style de vie pour lui ; croire que l’on vit quand on perd tout, croire en l’amour, sans aucunement mépriser la vie ou s’en désintéresser.

L’Homme humilié, l’homme souffrant, telle est la réalité que Jésus offrait aux siens malgré leurs contestations. La passion fait partie du plan de salut, elle est nécessaire. Les apôtres découvraient l’âme de Jésus, sa mission. L’amour divin passe toujours, éternellement par la croix. Mais comme Pierre, il est possible de croire en la divinité du Christ tout en refusant de reconnaître et d’accepter sa mission de rédempteur. Tel a été le premier de ses reniements. La révélation que Jésus faisait ce jour-là, était dans l’esprit de Jésus constitutif de la formation de son Église et de ses disciples.

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