Val d‘Akor
« Écoutez une autre parabole. Un homme était propriétaire, et il planta une vigne ; il l’entoura d’une clôture, y creusa un pressoir et y fit bâtir une tour ; puis, après l’avoir loué à des vignerons, il partit pour l’étranger. Quand arriva le temps de la récolte, il envoya des serviteurs aux vignerons pour en percevoir les fruits. Mais les vignerons se saisirent de ces serviteurs, battirent l’un, tuèrent l’autre et lapidèrent le troisième. De nouveau, il envoya d’autres serviteurs, plus nombreux que les premiers, mais ils les traitèrent de même. Finalement, il leur envoya son fils, en se disant : Ils auront des égards pour mon fils. Mais les vignerons, en voyant le fils, se dirent par devers-eux : Voici l’héritier : allons-y ! tuons-le, que nous ayons son héritage. Et le saisissant, ils le jetèrent hors de la vigne et le tuèrent. Lors donc que reviendra le maître de la vigne, que fera-t-il à ces vignerons-là ? Ils lui répondirent : Il fera misérablement périr ces misérables, et il louera la vigne à d’autres vignerons qui lui en livreront les fruits en temps voulu. Jésus leur dit : N’avez-vous jamais lu dans les Écritures : « La pierre qu’avaient rejetée les bâtisseurs est devenue pierre de faîte ; c’est là l’œuvre du Seigneur et elle est admirable à nos yeux. » Aussi, je vous le dis : le Royaume de Dieu vous sera retiré pour être confié à un peuple qui lui fera produire ses fruits. »
Commentaire :
Adressant son évangile à l’église naissante, sa jeune communauté ecclésiale, Matthieu s’adresse aux nouveaux venus en leur présentant le destin des Juifs qu’ils ont remplacés dans le plan divin comme Peuple élu. Puissent-ils ne pas être infidèles comme leurs devanciers à la vocation à laquelle ils ont été appelés et décevoir l’espérance de fécondité que Dieu a placée en eux. Enseignement toujours d’actualité, l’évangéliste en tire l’inspiration du très beau poème d’Isaïe (Is.4-5) et de l’invective de Jérémie sur la fidélité. (Jr. 7 : 24-26)
CONTEXTE DE LA PARABOLE
Si la prédication de Jésus avait connu un succès de foule, l’opposition croissait de la part des chefs du peuple. Se multiplient les refus de courir le risque de suivre Jésus, « la peur de se mouiller à la grâce, » comme écrivait Péguy. On reproche à Jésus ses manquements à la Loi alors qu’au contraire, il l’accomplit par amour. Le conflit latent dégénère bientôt en crise ouverte. La prédication de Jésus remet en question toutes les sécurités que les Juifs pouvaient se donner devant Dieu. Les chefs des peuples multiplient les incidents et Jésus prête flanc à leurs attaques : il chasse les vendeurs du temple, (21 : 13+) et dans un acte symbolique, il maudit le figuier stérile. On veut à tout prix se débarrasser de cet innovateur gênant, et Jésus le reconnaît. Des annonces à peine voilées de sa passion montent à ses lèvres, il marche sciemment vers la mort. C’est dans cette perspective qu’il faut situer cette parabole des vignerons homicides. Elle fait partie d’un ensemble de trois : la parabole des deux fils, proclamée dimanche dernier, et celle du festin nuptial (22 : 1-14), toutes trois expriment comme le procès de l’infidélité : culpabilité, châtiment et exécution.
Une question demeure : cette parabole des vignerons homicides est-elle de Jésus ou de la communauté matthéenne en rapport avec l’échec du peuple Élu ? Serait-elle le fruit de l’expérience apostolique des débuts et son expression sous la mouvance de l’Esprit saint ? Nous nous trouvons ici devant une véritable histoire où le fils, i.e. Jésus tient le premier rôle et l’envoi des vignerons garde une importance suggestive. L’idée des fruits revêt un très grand relief tout au long de la parabole. Il s’agit du produit de la vigne. Le Royaume de Dieu peint traditionnellement sous l’image de la vigne doit produire dans les membres qui la composent des fruits d’une vie formée et vécue en Dieu. Et s’il y a différents envois de vignerons pour recueillir ces produits de la vigne, c’est que la vie chrétienne pour Matthieu comporte diverses crises à répétition comme des délais à respecter. Tel peut être le sens du discours que l’évangéliste tient à ses ouailles ce jour-là.
SENS DE LA PARABOLE
La faute des vignerons est non seulement d’avoir mis à mort les messagers du maître, mais également le fait qu’ils ne livraient aucun fruit, la stérilité de leur vie, désobéissance intérieure à l’égard de Dieu. Ainsi s’explique le fait que le Royaume de Dieu a été retiré à Israël, le Peuple élu, instrument de salut, parce qu’il a refusé d’accomplir la volonté de Dieu. La faute réside dans son refus à Dieu dans la personne de son Fils. Le châtiment comportera l’extermination des meurtriers et la privation de la vigne. Matthieu songeait-il à la destruction de Jérusalem ? (22 : 1-14) Ce qu’il souligne davantage, c’est que le peuple élu, ses compatriotes juifs, perdra sa vocation devant Dieu et que la vigne sera confiée à d’autres. Le peuple de Dieu, les Israélites sont les simples gérants et non les propriétaires de la vigne, l’élément le plus expressif de l’alliance entre Dieu et son peuple. Les Pharisiens et les chefs religieux sont particulièrement visés dans les « vignerons » de la parabole, eux qui se plaisaient à se dire les interprètes de la loi, appointés par Dieu pour cultiver la vigne de Yahvé.
CONCLUSION
La parabole ne pouvait se terminer sur cet échec, le dessein de Dieu doit arriver à terme. Aussi Matthieu ajoute-t-il : « La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle. Voilà l’œuvre du Seigneur et elle est admirable à nos yeux. » Ce que les hommes ont rejeté, Dieu l’a élevé, ce que les constructeurs ont dédaigné, Dieu en fait la pierre angulaire, pierre de faîte, couronnement du tout. Si la mort de Jésus entrait dans les plans de Dieu, au rejet de la pierre a succédé son élévation. Et la communauté d’exulter : « C’est là l’œuvre du Seigneur, elle est admirable. » Chacun reconnut alors se trouver placé dans une décision radicale : adhérer à la pierre vivante pour former le peuple saint succédant ainsi au Peuple élu infidèle. Le Royaume enlevé à Israël sera donné à la communauté sainte qu’ils sont appelés à former. La jeune communauté chrétienne de Matthieu doit vivre, grandir et prospérer dans la fidélité au Christ, communauté recrutée parmi les pauvres, les humbles, les pécheurs, l’Église des saints des derniers temps.
«Je ferai du val d’Akor (val de malheur) une porte d’espérance. » (Os. 2 :17)