Être ou ne pas être
Alors viendra le Fils de l’homme dans sa gloire. Les messagers du Seigneur feront cercle autour de lui, et il prendra place sur son siège de gloire. Les peuples se rassembleront devant lui. Et, comme le berger sépare brebis et chèvres, il les départagera. Les brebis iront à sa droite, les chèvres à sa gauche. Aux brebis qui sont à sa droite, le roi dira : « Vous voici, vous que mon Père a reconnus. Recevez l’héritage du Règne qui vous est réservé depuis la fondation du monde. J’avais faim. Vous m’avez nourri. J’avais soif. Vous m’avez donné à boire. J’étais un étranger. Vous m’avez ouvert votre porte. J’étais sans vêtement. Vous m’avez vêtu. J’étais malade. Vous avez veillé sur moi. J’étais au cachot. Vous êtes venus me voir. » Et les justes lui diront : « Maître, quand cela ? Nous t’aurions vu affamé, et t’aurions rassasié ? Nous t’aurions vu assoiffé, et t’aurions donné à boire ? Mais quand ? Nous t’aurions vu étranger, et t’aurions ouvert notre porte ? Sans vêtements, et nous t’aurions vêtu ? Mais quand » ? Nous t’aurions vu malade ou dans un cachot, et serions allés te rendre visite ? » Le roi répondra : « Croyez-en ma parole : chaque fois que vous avez agi de la sorte avec le plus petit de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » …
Commentaire :
Dans cette page d’évangile, l’évangéliste Matthieu rappelle à sa génération, et ceci vaut pour chaque génération, l’enjeu de ce qui se vit présentement. Le jugement de demain ne fera que révéler les actes ou omissions d’aujourd’hui. Tout ce récit est construit sur l’opposition entre « faire et ne pas faire », action et omission. C’est l’ « Être ou ne pas être » de la révélation évangélique. Tout est au plan de l’agir et non d’une attitude purement intérieure, le niveau des bonnes intentions. Ceci concerne le prochain sans référence aucune au culte ou connaissance de Dieu ou du Christ. En fait, toutes ces œuvres appartiennent à un fond commun de la morale humaine qu’Israël a maintes fois reprises et développées. ( Is.1 : 17; 58 : 6-7; Am.5 : 7). On croirait réentendre l’évangéliste dans un passage précédent, extrait du Sermon sur la montagne. ( 7 : 21-23). Jean dans sa première lettre écrivait : « Petits enfants, n’aimons ni de mots ni de langue, mais en actes, véritablement… » (1 Jn. 3 : 18)
Ce récit du jugement dernier met le point final au dernier des cinq grands discours de l’évangile de Matthieu. Après avoir donné les règles du Royaume, envoyé en mission ses disciples non sans les avoir éclairés sur les secrets de Dieu et les règles de vie en communauté, Jésus annonce sa venue et son jugement sur le monde. Le temps et le lieu en demeurent imprécis, mais cette sentence concrétisera ce qui était préparé depuis la fondation du monde. La promesse de la récompense trouve en saint Paul une expression mémorable : « Béni soit le Père de Notre Seigneur Jésus le Christ qui nous a élus en lui dès avant la création du monde… » ( Eph. 1 : 4+)
Le « juge » porte ici la gloire et le titre de «Fils de l’Homme ». Identifié à toutes les misères de l’humanité, il a vécu toutes les faiblesses de la condition humaine. Il a Dieu pour Père et les pauvres sont ses frères. De là à l’identifier à Jésus, il n’y a qu’un pas et sans doute peu de pourcentage d’erreurs. D’autre part, le terme « peuples » désigne l’ensemble des hommes et non seulement Israël ou encore les nations païennes. La visée universelle de l’évangéliste, surtout dans les derniers chapitres, ne permet pas de percevoir ici une distinction entre Israël et les autres nations. Le texte de Matthieu évoque un jugement universel de tous les hommes croyants ou païens.
«Les plus petits de mes frères. » Selon les exégètes les mieux chevronnés, il semble que l’expression renvoie aux disciples missionnaires (Mat. 12 : 50 ; 28 : 10 ; 23 : 12 et 34) Dans ce passage, l’évangéliste Matthieu lance donc un solennel avertissement au monde entier : «Comment avez-vous accueilli les prédicateurs de l’Évangile ? » Matthieu rappelle à sa génération l’enjeu de ce qu’elle vit. Cela constitue non moins un avertissement à toutes les communautés chrétiennes. Avec les années, l’engourdissement, l’affadissement de la foi et les divisions à l’intérieur des communautés seront objet de jugement. Cela n’empêche que dans la bouche de Jésus, la parabole à laquelle on a greffé par la suite des propos qu’il avait tenu concernant les classes pauvres de la société, constitue une description du jugement sur des attitudes concrètes prêchées et voulues par le Christ.
En cette fête du Christ Roi, évoquons davantage le projet de Jésus qu’un titre qui a certes perdu ses lettres de noblesse. Ce dessein n’était autre que d’établir sur terre un « Royaume «, une communauté chrétienne, signe de justice, de paix et d’amour. Or ce ne peuvent être quelques gestes isolés, quelques manifestations collectives qui définiront ce témoignage. Non seulement l’Église, la communauté chrétienne doit-elle se montrer généreuse et inventive dans cet universel mouvement d’amour, de justice et de paix, mais encore doit-elle se faire un devoir de soutenir et de participer à tous les efforts réalisés sur le plan de la communauté civile. Toutes organisations civiques, internationales en faveur des « pauvres » de la société méritent de notre part un réel intérêt, une sincère admiration mais davantage une franche collaboration. Le Christ souffre dans tous les pauvres, et la foi doit l’approcher pour l’aider. La communauté chrétienne deviendra dès lors signe de charité non seulement par ses institutions caritatives, mais non moins par la présence active et généreuse de ses membres dans le monde.
Tout est là : « Être ou ne pas être «, nous situer en permanence aux frontières de toute action de justice, de paix et d’amour. Alors le Christ nous reconnaîtra comme les « brebis de mon Père « et nous invitera à « recevoir la récompense préparée depuis la fondation du monde. J’avais faim… j’avais soif… j’étais nu, malade, en prison » …