La Bible constitue la matière première de la liturgie des Heures. Avec les psaumes, les cantiques et les lectures bibliques, elle occupe la majeure partie des divers offices. L’importance accordée à la littérature biblique dans la prière des Heures fait surgir des questions. Quels rôles jouent les lectures bibliques au sein de la liturgie des Heures? Comment le tout est-il organisé? Quel profit peuvent en tirer les personnes qui pratiquent la liturgie des Heures?
Une place centrale
Répondant à un souhait de la réforme liturgique de Vatican II, les lectures des offices de la liturgie des Heures font faire aux priants un large survol de la littérature biblique. La section intitulée Parole de Dieu est d’ailleurs centrale dans divers offices. Elle n’en occupe pas la majeure partie, mais elle est presque toujours structurellement au centre.
Une telle structure est significative. Ce qui précède les lecture a pour fonction de préparer à l’écoute de la Parole. Ce qui suit sert à l’approfondir, à la méditer et à la prier.
Il y a Parole de Dieu et… Parole de Dieu
Les titres des diverses rubriques des offices sont quelque peu piégés. Sous la rubrique Parole de Dieu se trouvent des extraits de livres bibliques. Les psaumes, les cantiques (de l’Ancien et du Nouveau Testament) et le Notre Père pour leur part n’apparaissent pas sous ce titre. Ne font-ils pas pourtant aussi partie de la Bible? Ne sont-ils pas alors tout autant Parole de Dieu? Quand nous prions avec les psaumes ou les cantiques, est-ce que nous ne prions pas avec la Parole de Dieu?
Inversement, est-ce que les versets inscrits sous la rubrique La Parole de Dieu seraient arrivés directement du ciel, par courrier recommandé? En quoi sont-ils davantage Parole de Dieu que les psaumes et les cantiques? N’ont-ils pas été, eux aussi, mis par écrit par des êtres humains, inspirés il est vrai, mais bien humains? Est-il juste alors de réserver le titre de Parole de Dieu aux seules lectures brèves (capitules) ou longues?
Malgré ces considérations, nous limiterons notre propos aux seules lectures apparaissant sous le titre La Parole de Dieu. Elles ont, en effet, des fonctions propres qui leur donnent un caractère distinct pour rapport aux psaumes, aux cantiques et au Notre Père. C’est ce que nous allons tenter de dégager.
L’Office des lectures
Nous traitons à part l’office des lectures (appelé autrefois matines), à cause de son caractère particulier. Comme son nom l’indique, ce qui le distingue est l’importance accordée à la proclamation de la Parole de Dieu. Contrairement aux autres offices de la journée, celui-ci n’est pas rattaché à une Heure spécifique: L’Heure qu’on appelle matines, bien qu’elle garde, dans la célébration chorale, son caractère de louange nocturne, sera adaptée de telle sorte qu’elle puisse être récitée à n’importe quelle heure du jour. (Constitution sur la liturgie, n. 89c) Sans que la dimension temporelle soit évacuée, ce qui est mis au premier rang est la lecture de la Bible et de textes de la tradition.
Ce relatif détachement par rapport aux heures liturgiques indique d’ailleurs l’usage spécifique des lectures bibliques à cet office. Ici, les extraits de la Bible ont pour fonction première d’enseigner les fidèles, de leur faire découvrir chaque fois un nouveau pan de l’histoire du salut. Une certaine continuité est prévue, permettant de ne pas perdre le fil d’une journée à l’autre. Le choix des lectures bibliques correspond à l’esprit des divers temps de l’année liturgique (Avent, temps de Noël, Carême, temps pascal, etc.). Pour le temps ordinaire, les lectures sont agencées de manière à assurer continuité et progression.
Les autres offices
Ce qui frappe quand on regarde les lectures bibliques des autres offices, c’est leur brièveté. Quelques versets tout au plus. Un regard attentif permet aussi de constater que la lecture n’est pas continue. On passe d’un livre biblique à l’autre, de façon un peu anarchique dirait-on. Mais ce n’est pas le cas, car certains principes ont guidé le choix des lectures. Il n’est pas inutile de les rappeler.
Comme le dit la Présentation générale de la Liturgie des heures, la lecture brève est choisie suivant le jour, le temps ou la fête (n. 45). Plus loin, le texte précise l’esprit qui a guidé le choix des passages bibliques: Les lectures brèves ou ‘capitules’ […] ont été choisies pour exprimer une pensée ou une exhortation avec précision et clarté. On a veillé aussi à leur variété. (n. 156) Le texte est plus explicite au numéro 158:
Dans le choix des lectures brèves, on a observé les points suivants:
a) Selon la tradition, les évangiles sont exclus.
b) Autant que possible on a observé le caractère du dimanche, ou encore du vendredi, et des heures elles-mêmes.
c) Les lectures de l’office du soir, puisqu’elles suivent un cantique du Nouveau Testament, ont été choisies exclusivement dans celui-ci.
Les lectures de deux jours de la semaine, donc, sont choisies en fonction de leur caractère propre. Gaston Fontaine (La lecture biblique dans la liturgie des heures, Bulletin national de liturgie 76, 1980, p. 188-190) les présente en les groupant selon des thèmes. Pour le dimanche, l’ambiance est pascale:
· Dieu, source de salut pour tous les hommes
· Le Christ ressuscité
· Baptême et vie chrétienne
· Espérance dans le Jour du Seigneur à venir
Pour le vendredi, les thèmes sont la Passion et le sacrifice de Jésus et d’autres thèmes qui leur sont liés (Dieu, la mort, sagesse du mystère de Dieu, conversion et salut, etc.).
La Présentation générale de la Liturgie des heures mentionne aussi (point b ci-dessus) que le choix de la lecture a pu être dicté par l’heure de l’office. Fontaine relève ainsi que l’heure de tierce (milieu du jour) évoque l’effusion de l’Esprit sur l’Église naissante à la Pentecôte. Six lectures bibliques de cette heure abordent ce thème. Le même auteur souligne que les sept lectures choisies pour complies, heure (destinée à sanctifier le coucher (G. Fontaine, op. cit. P. 190) favorisent le passage au repos de la nuit.
D’autres cas semblables s’ajoutent à ceux-ci pour l’office du matin. Par exemple, à celui du lundi I se trouve l’exhortation suivante de Paul: Si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus! (2 Th 3, 10b) Ces paroles tombent à pic avant d’entreprendre la première journée de travail de la semaine et avant même le petit déjeuner!
Des lectures pour prier
Contrairement aux passages bibliques de l’office des lectures, ceux des autres offices n’ont pas pour fonction première d’enseigner. Ils sont là surtout pour soutenir et motiver la louange. De fait, leur brièveté même leur donne leur caractère et leur portée. La lecture brève, en effet, propose avec force quelque sentence sacrée, et […] met en lumière des paroles brèves auxquelles on risque de ne pas faire attention au cours d’une lecture continue des Écritures. (Présentation générale de la Liturgie des heures, n. 45)
La fonction de la lecture brève est donc d’attirer l’attention sur des morceaux choisis, des perles tirées de la Parole de Dieu. L’approche est bien différente de celle de l’office des lectures où les passages lus sont plus longs et où une certaine continuité est respectée.
Les exégètes sont parfois mal à l’aise avec cette approche morcelée de la Bible. Ces cours extraits, cités hors-contexte, qui nous font passer d’un livre à l’autre, peuvent-ils permettre une juste perception de la littérature biblique? Voilà qui pourrait faire l’objet d’un débat!
Rappelons simplement que liturgie et exégèse historico-critique ne jouent pas le même rôle. En contexte liturgique, la manière de puiser à la tradition biblique est différente, mais tout aussi valable pour donner du sens à la Parole de Dieu.
De plus, les lectures brèves ne sont pas les seuls endroits pour les chrétiens et les chrétiennes où se nourrir de la Parole. L’office des lectures et l’eucharistie (le dimanche et en semaine) donnent la possibilité de parcourir la Bible dans son ensemble, grâces des extraits plus longs. Rien n’empêche non plus de lire et d’étudier la Bible de manière individuelle ou communautaire. N’oublions pas le but premier des lectures brèves: susciter la réponse, sous forme de louange, de la personne qui prie.