Un jeune animateur de pastorale me confiait, un jour, son étonnement: Nous passons notre vie avec un inconnu. Nous parlons de lui. Nous le suivons. Nous lui vouons toute notre existence. Nous invitons les autres à marcher avec lui. Nous organisons des activités à son sujet. Mais nous ne le connaissons pas. Nous ne l’avons jamais vu… La foi ressemble à un problème d’algèbre. Nous jonglons avec des chiffres aux valeurs bien déterminées, mais il y a constamment ce X , cet inconnu que nous promenons d’un côté comme de l’autre en le mettant en relation avec le reste sans pour autant pouvoir l’identifier clairement. Dieu l’inaccessible, l’impalpable!
Des bouquins pour remplir des milliers de bibliothèques ont été écrits à son sujet. On continue d’en rédiger avec l’impression de ne pas avoir tari la source. Pour le connaître, on continue de scruter la Bible, de parcourir l’histoire d e l’humanité, d’interroger les grands comme les petits croyants. Dieu demeure toujours un mystère.
Avons-nous besoin de lui? Il se cache. Ton regard se dirige-t-il vers lui qu’aussitôt il te semble ailleurs. Ta main s’approche-t-elle pour toucher qu’elle ne caresse que le vide. L’élan de ta prière se bute à un mur ou plonge dans le néant. Dieu est toujours ailleurs au point de donner l’impression qu’il n’est nulle part! Devant le mal, devant la souffrance, nous le cherchons. Son silence nous traverse le coeur comme la lame d’un couteau tranche la chair. Douloureux désir que celui qui ne goûte jamais à ce qu’il cherche!
Le Verbe de Dieu, sa Parole, s’est fait chair. Il a demeuré parmi nous. Jean le proclame: Nous avons vu sa gloire (1, 14). Des milliers de gens l’ont vu. En chair et en os. Ils ont entendu sa voix, senti son odeur. Ils ont été ému à l’entendre et à le toucher. Mais c’est il y a longtemps. Et il n’est plus là aujourd’hui. Parti comme tous les signes qui semblaient annoncer la présence de Dieu.
Pourquoi le Verbe n’est-il pas resté? Ressuscité après sa mort, il ne pouvait disparaître. À quoi sert une résurrection si elle ne dure pas? Vivant au milieu de nous, le Ressuscité serait un témoignage tangible que la mort est vaincue. Pourquoi ne laisser que des signes fragiles à une foi qui ne peut que demeurer hésitante devant tant d’incertitudes?
Y a-t-il eu erreur dans le processus au point que la mécanique pascale se soit déréglée? Pourtant non, le Christ lui-même avait annoncé son départ: Mes petits enfants, je ne suis plus avec vous que pour peu de temps (Jean 13, 33) Pour compliquer l’affaire, il ajouta: Là où je vais vous ne pouvez venir! Il a même dit: C’est votre avantage que je m’en aille (16, 7) Au matin de la résurrection, dans le jardin du tombeau, à Marie-Madeleine qui l’a reconnu, il insista: Ne me retiens pas (20, 17)!
Nous parlons souvent de la présence du Christ. Peut-être ne pensons-nous pas assez à son absence. Peut-être qu’il nous est bon que le Christ demeure absent. Cela nous oblige à reprendre la route. À chercher encore. Sentir l’absence pour chercher encore la présence. Les gens comblés, rassasiés, arrêtent de manger. Le Christ est parti pour que notre foi exprime sa faim, son désir, et qu’elle continue de creuser en nous l’espace, le vide, l’ouverture qui garde en route. Si le Christ se laisse trouver, c’est pour le chercher encore et toujours. Bienheureuse absence qui nous garde assez pauvres, suffisamment démunis pour continuer notre quête.