Nous vivons dans un univers où les expériences spirituelles sont nombreuses et très variées. Nous côtoyons presque chaque jour des gens qui appartiennent à d’autres religions. Nous rencontrons souvent des personnes dont le cheminement est à l’opposé du nôtre. Nous avons appris à vivre dans ce monde au pluriel. Nous arrivons progressivement à nous accepter mutuellement et à nous respecter. Nous pratiquons le dialogue.
Dans cet esprit, certains propos de Jésus peuvent nous embarrasser. Par exemple: quand il se définit comme LE chemin, LA vérité, LA vie, comme si d’autres chemins étaient impensables, d’autres vérités inacceptables, d’autres formes de vie intolérables. Les qualificatifs de Jésus sont même très durs pour nommer ceux qui ne passent pas par lui: ils sont des voleurs et des bandits! Rien de moins. Cette intolérance de la part de Jésus est le reflet de l’intolérance de Dieu lui-même. Dans ses interventions auprès de son peuple, Dieu est tout aussi exigeant.
L’intolérance de Dieu serait impardonnable si elle ne correspondait pas à l’absolu de son amour. Dieu donne tout; Dieu va à l’extrême de l’amour. Son don suscite, de notre part, un accueil tout aussi généreux, tout aussi radical. Il n’est donc pas surprenant que les convertis soient entiers dans leur conversion, qu’ils soient pleins de passion et de ferveur. Du moins dans les premiers temps après leur rencontre du Christ.
L’écrivaine Isabelle Rivière, son mari Jacques Rivière et son frère Alain Fournier (Le Grand Meaulnes) se sont convertis ensemble au début de la vingtaine. Madame Rivière a raconté dans une entrevue qu’après cette étape enthousiaste, les trois convertis ont connu une période plus difficile. À ce propos, elle disait: Nous pensions que croire c’était être arrivés, mais la foi c’est un départ, un embarquement, le voyage qui commence.
En disant cela, Isabelle Rivière ne faisait que traduire ce que Jésus dit quand il se présente comme la porte, celle qui s’ouvre sur l’extérieur, celle qui invite à sortir, celle qui propose de prendre la clé des champs. Passer par Jésus, ce n’est pas s’enfermer dans un espace étroit. Au contraire. C’est, comme dit Jésus, aller et venir et trouver un pâturage. Jésus est clair quand il parle du berger: Ses brebis à lui, il les appelle chacune par son nom, et il les fait sortir. Quand il a conduit dehors toutes ses brebis, il marche à leur tête, et elles le suivent car elles connaissent sa voix.
La foi n’est pas un joyau qu’on préserve jalousement. C’est une option qu’on expose. Jésus nous appelle à exposer notre foi. Vivre sur la place publique plutôt que de nous replier dans l’anonymat, dire nos valeurs au milieu de tant d’opinions différentes, accepter la critique et la contestation. Bref vivre en toute liberté.
La foi ne peut vivre que si elle est risquée. La liberté suppose que nous acceptions de vivre dangereusement. Saint Pierre dit: Que chacun de vous se fasse baptiser pour obtenir le pardon de ses péchés. Le péché nous replie sur nous-mêmes, le pardon nous libère. Vous recevrez alors le don du Saint-Esprit, dit l’apôtre. Et, avec l’Esprit, la liberté. À Pâques, nous avons fait mémoire de notre baptême et de notre attachement au Christ. Nous avons alors célébré notre liberté et nous avons accepté de demeurer des hommes et des femmes en marche. Ce n’est pas sans raison que nous parlons de notre vie de foi comme d’un pèlerinage, d’un voyage jusqu’au centre de nous-mêmes à la rencontre de Dieu.
Comme un berger, le Christ nous appelle. Il nous mobilise. Il nous entraîne au grand air. Il demande beaucoup, parfois jusqu’à l’absolu. Il paraît exigeant jusqu’à l’intolérance. Mais devant tant de libertés bafouées dans les pays en guerre, devant les murs de la haine qui séparent les humains, devant la violence qui se déploie partout, pouvons-nous laisser faire? Pouvons-nous continuer de tolérer? Devant nous, la porte s’ouvre sur cet immense paysage à humaniser, à rendre libre. Sortons. Nous sommes libres pour rendre libres.