La misère n’est pas fatale; les personnes qui vivent dans la pauvreté sont les premières à refuser cette condition; il est du devoir de tous de s’unir pour la détruire.» Ainsi s’exprimait-on au moment où, le 17 octobre 1987, on inaugurait à Paris une dalle en l’honneur de ceux et celles que la misère rejoint de mille et une façons. L’initiative venait du Père Joseph Wrésinski, fondateur du mouvement international ATD Quart Monde.
Depuis ce jour, chaque année, le 17 octobre est devenu la journée mondiale du refus de la misère. Les statistiques de la misère et de la pauvreté sont dramatiques. Sur la planète, c’est 1,2 milliard de personnes qui vivent dans une pauvreté extrême Elles ne gagnent même pas un dollar US par jour. À côté d’elles, 1,6 milliard d’autres ont moins de deux dollars pour leur pitance quotidienne. Chaque année, c’est 15 millions de gens qui meurent de faim. Une personne sur trois ne mange pas à sa faim. Parmi tous ces malheureux, des enfants, de nombreux enfants.
«Là où des hommes et des femmes sont condamnés à vivre dans la misère, les droits de la personne sont violés. S’unir pour les faire respecter est un devoir sacré.» (Joseph Wrésinski) Aujourd’hui plus que jamais, la lutte à la pauvreté ne peut être réduite à faire l’aumône à l’itinérant qui nous tend la main. Il faut se placer dans des perspectives plus larges. Des institutions doivent être transformées. Des politiques doivent changer. Il faut une plus grande mobilisation de l’ensemble des forces et des ressources humaines.
Dans le journal L’itinéraire d’octobre 2002, Jean-Pierre Lacroix écrit à propos de la journée mondiale du refus de la misère: «Ce n’est donc pas une journée pour ‘aider les pauvres’, mais un moment privilégié pour rendre hommage au courage des personnes qui font face à la misère. Une journée pour affirmer qu’ils sont des partenaires dans l’élimination de la pauvreté. Une journée de fierté, d’espoir et de dignité au cours de laquelle se rassemblent ceux et celles qui refusent la misère et l’exclusion.» (p. 4)
Trop souvent, hélas, nous nous contentons de donner sans vraiment rencontrer celui ou celle qui nous tend la main. Il n’est pas facile de partager la détresse des autres, à plus forte raison quand il s’agit du pauvre que nous n’arrivons pas toujours à reconnaître derrière ses yeux cernés et ses joues creuses. Souvent aux prises avec des problèmes de dépendance (drogues, alcool, cigarettes), le pauvre est gardé à distance. Sa différence (ou la nôtre!) dresse un mur entre lui et nous.
La pauvreté ne peut être combattue sans la rencontre de l’autre, sans une véritable empathie, sans un vrai partage de ce que nous vivons mutuellement. Le moyen le plus efficace pour lutter contre la misère: créer des liens, favoriser l’amitié entre le pauvre et le riche, rapprocher les classes sociales. Tous les autres moyens, nécessaires et essentiels, n’ont d’avenir que dans ces relations entre les humains. Des hommes, des femmes, des enfants souffrent d’un manque de biens matériels. Leur pauvreté n’est que l’indice d’un déficit d’humanité que seul l’amour arrivera à changer. Un accueil sans restriction.
Un jour, Jésus se trouvait à la table d’un certain Simon. Une femme entre dans la maison et verse un parfum très coûteux sur les pieds de Jésus. Les disciples sont scandalisés: «On aurait pu le vendre très cher et donner la somme aux pauvres.» (Matthieu 26, 9) Jésus rétorque: «Des pauvres, vous en avez toujours avec vous; mais moi, vous ne m’avez pas pour toujours.» (26, 11) C’est vrai que nous avons toujours des pauvres parmi nous. Mais Jésus ne veut sûrement pas dire qu’il faut que les choses restent comme elles sont. Ni non plus que nous pouvons nous laisser aller à la dépense et au luxe. Les évangiles nous rapportent d’un bout à l’autre des engagements de Jésus en faveur des pauvres et des petits. Son message n’est rien d’autre qu’une option en faveur des méprisés. Le dépouillement de sa vie et sa mort sur la croix en disent long sur sa communion à la misère humaine.
Cette journée du 17 octobre aura atteint son but si elle nous réveille, même discrètement, si elle nous incite à privilégier la rencontre de l’autre durant les 364 autres jours de l’année. À la manière du Christ.