Les prophètes en avaient parlé. À mots couverts. L’air de parler d’autres choses. Ils étaient prudents. Il ne fallait pas le dire trop clairement. Pour ne pas embrouiller les gens. Pour ne pas trahir le message. Car Dieu avait les meilleures intentions au monde. Il rêvait de paix, de bonne entente, de justice et d’amour. Et les hommes s’arrangent toujours pour mettre de la bisbille partout. Les plus nobles projets finissent souvent par connaître quelques dérives qui les dénaturent. Vérité, liberté, égalité. Que de crimes on a commis au nom de ces valeurs hautement louables par ailleurs!
Il fallait donc être discret. C’est une bonne chose que le silence. Cela nous évite bien des maladresses, bien des malheurs. Au fond nous sommes bavards et nous aimons trop parler. Nous voulons nous prononcer sur le tout et sur des riens. Nous disons, par exemple, des choses à quelqu’un, et c’est le jeu du téléphone qui est parti! Les phrases ne nous appartiennent plus. Elles partent sans nous; sans toujours apporter avec elles le fond de notre pensée. Elles partent sans les nuances que nous voudrions ajouter qui rendraient le message plus crédible, plus justifié, plus acceptable. Mais hélas, la parole est partie; elle prend les humeurs de chacun en route. Elle passe de l’un à l’autre, prenant la fièvre à son passage chez l’un, attrapant un virus à son passage chez l’autre. Et le discours se charge de malfaisance et devient un contaminant incontrôlable comme un certain virus du début des année Vingt.
Mais Dieu n’allait pas se taire pour autant. Son silence pesait trop sur cette humanité déjà malade d’un péché remontant presqu’aux origines. Il fallait que le Seigneur se décide enfin à parler clair. Sa Parole avait fait le monde et créé l’homme et la femme à son image. Pour leur guérison, il allait inoculer dans le monde le vaccin de sa parole vivante, de son propre Fils.
Avec d’infinis précautions, la Parole en personne est donc venu au monde chez nous. Une jeune femme fut choisie entre toutes les femmes pour porter cet enfant de notre chair et le fruit de l’Esprit Saint. Totalement homme. Totalement Dieu. Un prodige d’équilibre! Un mystère pour le monde! Voilà la mystérieuse Parole qui depuis lors nous est dite!
Noël, tellement discret que plusieurs n’y voient que les belles lumières, les cadeaux, les jouets, les festivités. Sans trop savoir pourquoi on y revient chaque année. Dieu serait-il trop discret? N’y a-t-il pas lieu d’en parler plus? Comment dire davantage la vérité de Noël?
Or, notre discours sur Noël se heurte au mur de silence dans lequel notre société sécularisée cherche à l’enfermer. Noël n’aurait plus de sens. Il ne serait pas recevable tellement il dérange. Tellement il nous transporte ailleurs que dans nos préjugés et nos refus de croire; ailleurs que dans notre vision fermée, terre-à-terre et rétrécie, d’un monde cantonné dans sa science et ses technologies avancées. Un monde qui affiche haut et fort qu’il n’a pas vraiment besoin de Dieu et de Noël. Il le dit tellement qu’il arrive à défigurer Noël, à lui enlever son sens, sa pertinence.
Patiemment Dieu saura bien reprendre sa pédagogie et nous ramener à la merveilleuse réalité de la Nativité de son Fils dans le monde. Ne serait-ce pas à nous, les croyants, de recevoir et de vivre Noël pour ce qu’il est vraiment? N’est-ce pas à nous d’en témoigner par des paroles et des gestes fidèlement accordés au grand Mystère d’amour, de miséricorde et de solidarité que Dieu veut exprimer par la joyeuse et si discrète venue au monde de son Fils bien-aimé?
Fr Jacques Marcotte, O.P.
Québec, Qc