La fête nationale des Canadiens a revêtu cette année, on l’a dit, un caractère d’ombres, de tristesse et de deuil. Sans doute cela tenait-il à l’immense tribut qu’il nous a fallu payer à la Covid-19 qui nous tient depuis un an et demi. Heureusement cependant nous avons tous travaillé fort et les instances gouvernementales ont investi beaucoup dans cette incontournable priorité qu’était la lutte contre le virus et la pandémie. Il faut applaudir à la merveilleuse collaboration de nos services de santé et de tous les préposés à la sécurité, aux communications et aux divers services de soutien à la population dans cette lutte titanesque.
Il est cependant un autre dossier qui s’est développé depuis plusieurs années et qui prend de l’ampleur et de l’acuité depuis quelques mois. Il s’agit de la question autochtone, du « mystère » des pensionnats, de la mort inexpliquées de jeunes enfants, dont on découvre soudainement les restes dans des cimetières aux alentours de maisons attitrées autrefois aux enfants autochtones.
Nous savons d’emblée que le sujet est délicat et complexe. Bien sûr, nos sympathies vont d’abord aux familles éprouvées par des disparitions dont elles n’étaient même pas informées. Nous comprenons la souffrance vécue tout au long des nombreuses années où cette approche éducative « résidentielle » était à l’honneur, encouragée, soutenue et voulue par les gouvernements du Pays.
Si on y pense un peu, on imagine facilement tout ce que cette mise en œuvre des pensionnats pour enfants autochtones a pu impliquer : repérage des villages amérindiens à favoriser, interventions auprès des populations amérindiennes et inuits, établissement d’un plan d’action par mode de traités, de persuasion, de législation. Il fallait de lourds investissements pour le transport, la construction d’édifices, l’engagement de communautés religieuses disponibles et volontaires pour assurer l’encadrement, le soutien pédagogique, le fonctionnement des pensionnats. On sait bien que la supervision, la surveillance, le contrôle et le financement de ces entreprises, appelées à durer dans le temps, relevaient du gouvernement fédéral.
Sans vouloir faire le procès de quiconque, on peut penser que tout n’était pas machiavélique dans cette entreprise. C’était sans doute vu comme étant la bonne façon d’aider les pauvres « petits amérindiens ». Mais il nous apparaît certain que ce n’était pas une bonne idée, du moins dans l’état où nous sommes présentement dans nos considérations concernant ces biens fondamentaux que sont la culture, les traditions, la liberté et la responsabilité des parents, les droits humains, la liberté religieuse, etc. Les idéologies qui prévalaient à l’époque, et successivement depuis le milieu du 19e siècle, ne tiennent plus la route en 2021, et même depuis les années 1960. Toute notre approche humanitaire a complètement changé aujourd’hui.
C’est avec ce que nous vivons présentement que nous jugeons autrefois, sans nous préoccuper de retrouver les contextes, d’identifier les vrais coupables, de montrer du doigts les grands responsables.
Il m’est arrivé souvent, au cours des années 1970, et jusqu’en 1980, d’aller passer du temps dans des réserves indiennes de l’Ouest canadien, notamment au Manitoba, en Colombie-Britannique, dans les Territoires du Nord-Ouest (Repulse Bay). Lors de ces tournées, j’ai vu beaucoup d’isolement. Il fallait aller longtemps par d’immenses étendues de terres et de lacs pour rejoindre, par avion léger, ces populations regroupées en petits villages. Des missionnaires Oblats, avec qui j’ai alors causé, m’ont parlé des problèmes qu’ils rencontraient dans les Réserves. Mais j’ai vu aussi, sur le terrain, tellement de belles attitudes humaines de confiance, d’entraide et d’amitié! Et quelle merveille c’était de voir les enfants en ces aires protégées de liberté et d’apprentissage de la vie! L’idée de pensionnats pour eux n’était pas appropriée. J’en ai eu alors la preuve. Le risque était trop grand d’éteindre ces jeunes, de les déraciner, d’en faire des « petits blancs » à notre image alors qu’ils avaient chez eux l’essentiel pour être heureux, la joie, la paix, la liberté, la vie.
L’Église, par le truchement de communautés religieuses, a rendu de précieux services dans ces maisons-là. Elle a contribué à mettre en ces lieux de l’âme, de la charité, du dévouement, de bons enseignements. Mais n’était-ce pas aussi trop difficile? N’était-ce pas un défi trop grand? Un danger? Un piège? Dommage que ne se soit pas levé quelqu’un en autorité qui aurait eu le bon sens et la force de dénoncer cette formule. Ne fallait-il pas arrêter au plus tôt ces « camps de mort »? Pourquoi ne s’est-il pas trouvé un gouvernement pour s’engager à fond dans une réforme de l’injuste loi sur les Indiens?
Si seulement la prise de conscience et les débats actuels nous amenaient à travailler rapidement sur une réforme, en profondeur, de notre rapport avec les premières nations, nous en oublierions vite les excès et les fausses accusations des prises de parole qui ont cours dans les médias!
Il ne faut pas nous excuser d’avoir fait notre possible. Nous n’avons pas à demander pardon d’avoir prié, d’avoir servi avec dévouement, d’avoir investi le meilleur de nous-mêmes dans une vie religieuse sincère et tout offerte à Dieu et aux jeunes autochtones. S’il faut nous excuser, c’est en reconnaissant notre part collective malheureuse et naïve aux décisions premières de nos chefs d’état. Il faut nous désolidariser de toutes politiques assimilatrices. Il nous faut rompre avec ceux qui n’ont pas vu clair, qui n’ont pas réfléchi, qui ont eu des calculs égoïstes au dépens de ces frères humains qui comme nous tous rêvaient de bonheur, de fidélité, d’amour, de miséricorde et de liberté.
Fr Jacques Marcotte, O.P.
Québec, QC
Merci beaucoup pour ce texte très juste.