Il n’est pas toujours facile d’exprimer les sentiments que l’on porte au plus profond de soi. Deux films récents le réussissent à merveille. D’abord, dans HORS NORMES Olivier Nakache et Éric Toledano réalisent une production dans laquelle la bienveillance et l’attention à l’autre se lisent dans les gestes et les visages de Bruno et de Malik, engagés auprès de jeunes en difficulté. Pour sa part, le nouveau venu Florian Zeller explore avec respect le bouleversement intérieur que vit Anthony atteint d’une maladie dégénérative dans LE PÈRE.
HORS NORMES
Passés maîtres dans l’art du cinéma grand public de qualité (INTOUCHABLES, LE SENS DE LA FÊTE), le duo Nakache-Toledano signe avec HORS NORMES leur opus le plus accompli à ce jour. Et surtout, le plus émouvant.
Depuis vingt ans, Bruno (Vincent Cassel, formidable) dirige La Voix des Justes, un petit organisme parisien qui accueille et encadre des jeunes adultes autistes abandonnés par le système. Ses employés, il les recrute à l’Escale, un centre de réinsertion sociale pour délinquants dirigé par son ami Malik (Reda Kateb, excellent). Les deux hommes, qui en ont plein les bras, peuvent compter sur un réseau d’entraide qui reconnaît l’importance de leur travail.
Les services sociaux sont d’un autre avis. En alléguant que Bruno ne possède pas d’accréditation officielle et embauche des délinquants non spécialisés, deux fonctionnaires ouvrent une enquête sur La Voix des Justes, pourtant largement sollicitée par diverses instances médicales et sociales officielles de Paris. Imperturbables devant cette menace, Bruno, juif orthodoxe, poursuit sa mission en négligeant sa vie sentimentale, sur laquelle plusieurs entremetteurs s’activent.
Vincent Cassel brille de tous ses feux dans la peau d’un faiseur de petits miracles quotidiens. Son personnage nerveux, toujours en déplacement, agit tel le métronome de ce film choral à cheval entre la comédie humaine et le pamphlet militant. La participation d’acteurs non professionnels (dont Benjamin Lesieur, une révélation dans le rôle du jeune autiste Joseph) ajoute un supplément d’âme et de vérité à cette chronique humanitaire, qui éclaire un angle mort de la société.
LE PÈRE
Créée au théâtre en 2012, la pièce « Le Père » avait fait l’objet d’une adaptation en France (FLORIDE de Philippe Le Guay) avant que son auteur lui-même ne la porte à l’écran. Novice derrière la caméra, Florian Zeller s’en sort avec brio, conférant à son film de chambre un fascinant climat d’étrangeté, à l’aide d’infimes transformations dans le décor ou d’un emploi judicieux du hors-champ.
Atteint de la maladie d’Alzheimer, Anthony (Anthony Hopkins, touchant) provoque le départ de son infirmière à domicile. Sa fille Anne (Olivia Colman, poignante), chez qui il habite, s’apprête à lui procurer une remplaçante. Inutile, lui répond le vieil octogénaire, convaincu qu’il n’a besoin de personne pour s’occuper de lui.
Or, la maladie gagne du terrain et Anthony perd prise sur la réalité. Est-il dans son propre appartement londonien ou chez Anne? Celle-ci est-elle divorcée ou vit-elle encore avec son mari? Et qu’en est-il du projet de sa fille d’aller s’installer en France avec son nouvel amoureux? Tandis que toutes ces questions se bousculent dans sa tête, Anthony entend son gendre, à bout de patience, évoquer avec Anne la possibilité de le placer en institution.
Reflet de l’univers mental du protagoniste, le récit emprunte forcément le point de vue désorienté de ce dernier, déstabilisant du coup le spectateur, qui en vient à douter de tout ce qu’il voit et entend. Le film dégage un profond sentiment de tristesse et d’impuissance devant ce cas de dépossession psychologique et physique, vécu aussi difficilement par le malade que par ses proches. Tour à tour truculent et déchirant, Anthony Hopkins (LE SILENCE DES AGNEAUX, LES DEUX PAPES) est au sommet de son art.
Gilles Leblanc