Les représentations que nous avons de Dieu se sont souvent cantonnées dans la figure d’un honnête vieillard barbu, éventuellement surmonté d’un austère triangle, plus rarement dans celle d’un dieu capable de raconter des histoires drôles. Les Évangiles eux-mêmes sont peu loquaces sur la question. Tout au plus, peut-on voir Jésus, parmi les mangeurs et les buveurs, dans une compagnie sans doute joyeuse et bruyante. On l’imagine mal côtoyer les pécheurs et « tirer » une face de Carême pour mieux les convertir.
L’iconographie chrétienne montre un sauveur sévère. Les christs pantocratorvous passent l’envie même de sourire. Même les fictions contemporaines ont statufié Jésus dans la figure d’un Messie totalement désincarné (c’est un comble !) et détaché des petites joies de la vie. Le Jésus de Zefirelli est à cet égard un bon exemple.
Longtemps, le rire a été mal vu en Occident. La grimace associée au démon donnait mauvaise presse au rieur. On se rappelle la fiction d’Umberto Eco, Le nom de la roseoù l’équilibre d’un monastère est menacé par la recherche d’un manuscrit maudit d’Aristote sur le rire.
La farce produit le rire, elle éloigne l’homme du tragique qui élève les hommes dans des hauteurs sublimes. La comédie, disait-on, avilit, la tragédie ennoblit.
Pour ma part, une lecture de jeunesse, Qui ose, vaincra (sur la saga des parachutistes de la France libre) m’a frappé par la déclaration fort juste de l’un d’entre eux :
– La vie est une tragédie. Nous ne sommes pas obligés de la vivre en tragédien.
Quand on pense en effet au caractère inéluctablement fini de notre existence, y compris de celle de ceux que nous aimons, la condition humaine apparait comme une très mauvaise blague. Nous pouvons alors choisir le désespoir à l’égal de Cioran (« Ces enfants dont je n’ai pas voulus, s’ils savaient le bonheur qu’ils me doivent » !) et la foi qui sauve.
Sauf que la foi n’est pas un choix mais un don. Or, le choix seul est la marque de la liberté. Face au sentiment tragique de la vie, la triste résignation ne peut nous rendre libres. Parmi les autres postures possibles, la dérision a l’avantage de nous dérider. C’est pourquoi le rire, non des autres, mais de soi-même me paraît un gage important pour braver l’angoisse de l’existence.
Si Dieu veut nous sauver et s’il nous aime, veut-il nous voir pleurer ? Le rire et la joie qui s’ensuit, est la meilleure preuve de l’existence de Dieu dans la vie du chrétien. Pour mieux témoigner de l’amour de Dieu dans nos vies, il est même saint d’avoir de l’esprit. Rions dans nos familles. Égayons-les de nos rires et de nos blagues. Sachons ne pas nous prendre trop au sérieux. Car si prier, c’est chanter deux fois, alors rire et faire rire, c’est prier trois fois.
Mais une dernière fois, demandons-nous : Dieu rit-il ?
Oui, incontestablement ! Dieu a beaucoup d’humour. La preuve ? Il nous a créés.