Le journal d’Etty Hillesum est l’histoire d’un périple qui conduira son auteure vers des sommets insoupçonnés. Dans une recension des écrits d’Etty Hillesum, Elizabeth O’Connor, professeure et écrivaine américaine décédée en 1998, écrit que son journal est « le document spirituel le plus signifiant de notre époque. » L’écrivain néerlandais Abe Herzberg, qui a contribué à la publication de l’œuvre d’Etty, affirme quant à lui : « Je n’hésite pas à dire qu’à mon sens, nous nous trouvons ici en présence d’un des sommets de la littérature néerlandaise. » Paul Lebeau, jésuite, parle du journal d’Etty comme de l’un des « événements spirituels et littéraires les plus marquants du milieu du XXe siècle. »
Disparue tragiquement dans la nuit de la Shoah à l’automne 1943, Etty demeure à plus d’un titre une contemporaine pour nous qui la lisons aujourd’hui. Juive et solidaire de son peuple, Etty ne se réclame d’aucune tradition religieuse, bien qu’elle ait fait de la Bible son livre de chevet. Il y a de ces auteurs sur lesquels le temps ne semble pas avoir laissé d’empreinte. Pensons à certaines pages d’Augustin d’Hippone, de Bernard de Clairvaux, de Thérèse d’Avila, et combien d’autres qui ont su parler à notre humanité avec des mots qui ne vieilliront jamais. Telle est l’œuvre d’Etty Hillesum, une jeune juive hollandaise qui, à travers la rédaction d’un modeste journal personnel, convie le lecteur à s’interroger sur son rapport au monde et à Dieu. […]
Etty Hillesum a une conscience aigüe du grand mystère de la vie des hommes sur terre, de sorte que sa philosophie pacifiste se résume dans ce constat désarmant de lucidité : « Ce qui a besoin d’être éradiqué c’est le mal dans l’homme, et non pas l’homme. » Elle est consciente du rôle des idéologies, elle reconnaît qu’il faut savoir les dénoncer, mais son souci et son engagement, c’est de sauver Dieu dans chaque personne, car la vengeance est un cul-de-sac, un trompe-l’œil qui n’apporte aucune solution au déferlement du mal. Sylvie Germain résume magnifiquement cette vision d’Etty :
La haine n’est pas seulement la voie la plus facile (au sens de pente le long de laquelle il est presque inévitable de glisser : le mal, à travers la souffrance qu’il impose, soumettant la victime aux lois de sa terrible pesanteur – le processus est comparable à celui des avalanches) ; la haine est aussi la voie la plus dangereuse, la plus trompeuse, elle est sans issue. Là où se lève la haine en réaction à une violence, à un outrage, à une injustice subie, le mal triomphe, car la victime, aussi innocente soit-elle, se laisse alors atteindre au plus intime de son être, de son esprit, par la maladie du mal. Il y a renvoi, rebondissement, et c’est ainsi que le mal court, se démultiplie, prospère. Et la victime, tout en demeurant innocente en tant qu’elle est arbitrairement persécutée, qu’elle n’a rien fait qui puisse justifier le malheur dont on la frappe, n’en assombrit et n’en grève pas moins son innocence – sur le plan spirituel – du seul fait qu’elle se met à désirer la vengeance, à vouloir nuire à son tour. (1)
Pour Etty, l’expérience de Dieu est en même temps une expérience du prochain. Elle découvre les autres comme des frères et des sœurs qui ne peuvent être de véritables ennemis, mais seulement des personnes à aimer et à sauver. Ce salut est intimement lié à la découverte de notre humanité, en sa profondeur, en sa dignité, et en sa grande valeur. C’est cette humanité qu’il faut sauvegarder à tout prix, sans céder à la haine, à la vengeance, au mal. Elle écrit le 20 juin 1942 : « Je crois en Dieu et je crois en l’homme, j’ose peu à peu le dire sincèrement, sans fausse honte. La vie est difficile, mais ce n’est pas grave. Il faut commencer par “prendre au sérieux son propre sérieux”, le reste vient tout naturellement. » (2)
« Prendre au sérieux son propre sérieux », c’est prendre conscience de sa propre dignité en tant que personne et c’est « travailler à soi-même », comme elle le souligne, prendre tous les moyens pour extirper la haine de nos cœurs. Sa mission c’est d’assumer tout d’abord cette réalité dans sa propre vie. Sylvie Germain dira que se manifeste chez Etty « l’esprit des béatitudes, la règle d’or des évangiles : “Ne fais pas à ton prochain ce que tu ne voudrais pas qu’il te fasse”. » D’ailleurs, on retrouve la même attitude chez Julius. Ce dernier dira à Etty : « C’est une époque où mettre en pratique : Aimez vos ennemis. Et si nous le disons, nous (les Juifs), on voudra bien croire que c’est possible, j’espère? » (3)
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Germain, Etty Hillesum, Paris, Pygmalion, 1999. p.145.
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Hillesum, Etty. Les Écrits d’Etty Hillesum. Journaux et Lettres, 607-608. 20 juin 1942.
- Bériault, Yves. Etty Hillesum. Témoin de Dieu dans l’abîme du mal. Médiaspaul, 2010.
merci d’avoir mis en valeur le témoignage d’Etty ! j’ai beaucoup reçu d’elle en lisant son journal !
merci encore