Si vous parliez, Seigneur, je vous entendrais bien,
Car toute humaine voix par mon âme s’est tue,
Je reste seule auprès de ma force abattue,
J’ai quitté tout appui, j’ai rompu tout lien.
Mon coeur méditatif et qui boit la lumière
Vous aurait absorbé, si, transgressant les lois,
Comme le vent des nuits qui pénètre les pierres
Votre verbe enflammé fût descendu sur moi!
Nul de vous souhaitait avec tant d’indigence:
Je vous aurais fêté au son du tympanon
Si j’avais, dans mon triste et studieux silence,
Entendu votre voix et connu votre nom.
Mais jamais rien à moi ne vous a révélé,
Seigneur! Ni le ciel lourd comme une eau suspendue,
Ni l’exaltation de l’été sur les blés,
Ni le temple ionien sur la montagne ardue;
Ni les cloches qui ont un encens cadencé,
Ni le courage humain, toujours sans récompense,
Ni les morts, dont l’hostile et pénétrant silence
Semble un renoncement invincible et lassé;
Ni ces nuits où l’esprit retient comme preuve
Son aspiration au bien universel;
Ni la lune qui rêve, et voit passer le fleuve
Des baisers fugitifs sous les cieux éternels.
Hélas! ni les matins de ma brûlante enfance,
Où, dans les prés gonflés d’un nuage d’odeur,
Je sentais, tant l’extase en moi jetait sa lance,
Un ange dans les cieux qui m’arrachait le coeur!
Pourtant, ayez pitié! Que votre main penchante
Vienne guider mon sort douloureux et terni:
J’aspire à vous, Splendeur, Raison éblouissante!
Mais je ne vous vois pas, ô mon Dieu! Et je chante
du vide infini!