Dominicain allemand. Théologien et philosophe, il enseigna à Paris et à Cologne. Son ouvre est à l’origine du courant mystique rhénan et se propose d’élever le savoir théologique au rang d’une sagesse véritable.
Convescens praecepit eis, ab Ierosolymis ne discederent, etc. (Ac 1,4-5) Les paroles que je viens de prononcer en latin , on les lit à la messe de la fête de ce jour [l’Ascension]. Notre-Seigneur les dit à ses disciples quand il voulut monter au ciel : « Restez ensemble à Jérusalem, ne vous séparez pas et attendez la promesse que le Père vous a faite : vous serez baptisés dans l’Esprit -Saint après ces jours qui ne dureront guère ou peu. »
Personne ne peut recevoir l’Esprit-Saint à moins d’habiter au-dessus du temps, dans l’éternité. Le Saint-Esprit ne peut être ni reçu ni donné dans les choses temporelles. Lorsque l’homme se détourne des choses temporelles et se tourne en lui-même, il perçoit une lumière céleste qui vient du ciel. Oui! Elle est inférieure au ciel et, cependant, elle est du ciel. Il [l’esprit] ne se contente même pas de cette lumière, il pénètre toujours plus avant à travers le firmament, à travers le ciel . Mais cela ne donne pas encore satisfaction à l’esprit : il faut qu’il pénètre encore plus avant, jusqu’au sommet et à l’origine où, intérieurement, il puise son origine . il faut que l’esprit s’élève. qu’il perce toute multiplicité, et alors Dieu perce également en lui. Et autant Dieu perce en moi, autant moi je perce en Lui. Dieu conduit cet esprit dans le désert, dans l’unité de Lui-même, là où il est un Un pur jaillissant en Lui-même. Un tel esprit est sans pourquoi; s’il devait encore avoir un pourquoi, l’unité aussi devrait avoir un pourquoi. Un tel esprit est dans l’unité et la liberté .
Mais Dieu ne contraint pas la volonté, Il lui donne la liberté, de telle sorte que la volonté ne veut que ce que Dieu est Lui-même et que ce que la liberté est elle-même .
Quiconque demeure en la volonté de Dieu et dans l’amour de Dieu est joyeux de faire tout ce qui plaît à Dieu et de laisser tout ce qui déplaît à Dieu . L’homme qui s’est laissé lui-même et qui a tout laissé, qui ne cherche plus en rien son bien propre et qui opère toutes ses ouvres sans pourquoi et par pur amour, celui-là .vit en Dieu et Dieu vit en lui .
Celui qui a ainsi laissé toutes choses sous leur apparence la plus basse, là où elles sont périssables, les retrouvera en Dieu, où elles sont vérité . Prenons une comparaison : Si quelqu’un versait de l’eau pure dans un vase pur, d’une pureté et d’une netteté absolues, et qu’il la laissât reposer et qu’il se penchât ensuite, il verrait au fond son visage tel qu’il est réellement. La raison en est que l’eau est pure, claire et calme. Il en va de même de tous les hommes qui vivent dans la liberté et l’unité intérieures. S’ils reçoivent Dieu quand ils sont dans la paix et le repos, il doivent également le recevoir quand ils sont dans l’agitation et l’inquiétude, c’est qu’ainsi ils agissent en toute rectitude .
Notre-Seigneur a parlé ainsi : « Je ne vous ai pas appelés serviteurs, je vous ai appelés amis; car le serviteur ne sait pas ce que veut son maître. » Mon ami pourrait, lui aussi, savoir quelque chose que je ne saurais pas, s’il refusait de me le révéler. Mais Notre-Seigneur ajoute : « Tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai révélé. »… Qu’est-ce donc que le Fils entend de son Père? Le Père ne peut qu’engendrer, le Fils ne peut qu’être engendré. Tout ce que le père a, tout ce qu’Il est, l’abîme de l’être divin et de la nature divine, Il l’engendre pleinement dans son Fils unique. Voilà ce que le Fils entend du Père, voilà ce qu’il nous a révélé, afin que nous soyons le même Fils. Tout ce qu’a le Fils, il l’a de son Père, être et nature, pour que nous soyons le même Fils. Le Saint-Esprit, personne ne l’a non plus, à moins d’être le Fils unique. Dans la spiration de l’Esprit-Saint c’est le Père et le Fils qui spirent, car c’est quelque chose d’essentiel en même temps que spirituel.
Vous pouvez bien recevoir des dons du Saint-Esprit ou la ressemblance avec lui; mais ces dons ne vous demeurent pas, ils sont instables. De la même manière que si un homme rougit ou blêmit de honte, ce n’est pour lui qu’un accident passager. Mais l’homme qui est naturellement rouge et beau le demeure constamment. Il en va de même de l’homme, qui est le Fils unique : l’Esprit-Saint demeure en lui essentiellement. C’est pourquoi il est dit dans le livre de la Sagesse : « Je t’ai engendré aujourd’hui dans le reflet de ma lumière éternelle, dans la plénitude et la splendeur des saints. » Il l’engendre maintenant et aujourd’hui. Et c’est la naissance dans la déité, là ils sont « baptisés dans l ‘Esprit-Saint », selon la promesse que le Père leur a faite. C’est « après ces jours qui ne durent guère ou peu », la « plénitude de la déité ». Là il n’y a ni jour ni nuit; là ce qui est à plus de mille lieues de distance est aussi près de moi que l ‘endroit où je me tiens en ce moment; là est la plénitude et l’abondance de toute la déité; là n’est qu’unité.
Notre-Seigneur est monté au ciel, s’élevant au-dessus de toute lumière, de toute compréhension et de toute conception. L’homme qui est ainsi transporté au-delà de toute lumière habite dans l’unité. .
Puissions-nous également être un dans l’unité qui est Dieu lui-même, avec l’aide de Dieu! Amen.
Maître (Johannes) Eckhart (1260-1328)