Père de L’Église latine. Romain d’Afrique du nord, né d’un père païen et d’une mère chrétienne, sainte Monique, il resta longtemps étranger à l’Église. Il se convertit sous l’influence de saint Ambroise et devint évêque d’Hippone. Outre ses Lettres, ses principaux ouvrages sont : la Cité de Dieu, les Confessions, le traité De la grâce. Théologien, philosophe, moraliste, il a exercé une influence capitale sur la théologie occidentale. Écrivain, il a donné au latin chrétien ses lettres de noblesse.
Livre X
6(8) De conscience non pas douteuse, mais certaine, Seigneur, je t’aime. Tu as, de ton Verbe, frappé mon cour et je t’ai aimé. Aussi bien de toutes parts et le ciel et la terre avec tout ce qui est en eux me disent de t’aimer et ils ne cessent de le dire à tous, en sorte que nul n’ait d’excuses. Toi, cependant, allant plus au fond, tu auras pitié de qui tu auras eu pitié et feras miséricorde à qui tu auras été miséricordieux. Autrement le ciel et la terre parleront ta louange à des sourds.
Mais quand je t’aime, j’aime quoi ? Non pas certes la beauté d’un corps ni le bel air d’une saison ni l’éclat que voici de la lumière amie des yeux ni la douce mélodie de cantilènes aux tons variés ni la suave odeur de corolles, d’onguents, d’aromates ni des mannes et des miels ni des membres susceptibles d’enlacements charnels. Non ce n’est pas, quand j’aime mon Dieu, cela que j’aime, et toutefois j’aime une lumière et une voix et une odeur et un mets et un enlacement, quand j’aime mon Dieu, lumière, voix, odeur, mets, enlacement pour l’homme que je suis au dedans, là où pour mon âme reluit ce que n’enferme le lieu, où sonne ce que le temps ne ravit, où exhale sa senteur ce que le souffle n’éparpille, où émet sa saveur ce que l’appétit glouton ne diminue, où se tient attaché ce que la satiété ne dénoue : c’est, quand j’aime mon Dieu, cela que j’aime.
(9) Or cela, c’est quoi ? J’ai interrogé la terre; elle m’a dit : « Ce n’est pas moi », et tout ce qu’il y a en elle m’a fait la même confession. J’ai interrogé la mer, les abîmes, les formes rampantes de la vie; ils m’ont répondu : « Nous ne sommes pas ton Dieu; cherche au-dessus de nous. » J’ai interrogé le vent qui passe, et l’air tout entier avec ses habitants m’a dit : « Anaximène s’abuse, je ne suis pas Dieu. » J’ai interrogé le ciel, le soleil, la lune, les étoiles :
« Nous non plus, disent-ils, nous ne sommes pas le Dieu que tu cherches. » Alors à tous ces êtres autour des portes de ma chair : « De mon Dieu, ai-je dit, que vous-mêmes n’êtes pas, dites-moi, ah ! dites- moi de lui quelque chose », et ils m’ont, d’une grande voix, crié : « Il nous a faits, Lui! » Mon interrogation, c’est mon attention; leur réponse, c’est leur dehors.
Alors je me suis tourné face à moi : « Toi, me suis-je dit, qui est tu ? » et j’ai répondu : « Un homme. » Or, voici qu’en moi s’offrent à moi, l’un au dehors, l’autre au dedans, le corps et l’âme. Auquel m’adresser pour chercher mon Dieu, cherché déjà au moyen de corps depuis la terre jusques au ciel, aussi loin que j’ai pu en guise de courriers expédier mes rayons visuels ? Le meilleur est le dedans, à qui les courriers du corps ont tous rendu compte et qui présidait, qui jugeait sur chaque réponse, tandis que le ciel et la terre, avec tout ce qu’ils contiennent, disaient : « Nous ne sommes pas Dieu », et : « Il nous a faits, Lui ! » De cela le dedans a pris connaissance par le ministère du dehors. Moi donc, au dedans, moi, moi en tant qu’âme, j’ai de cela pris connaissance par les organes de mon corps. J’ai sur mon Dieu interrogé le monde en bloc et il m’a répondu : « Ce n’est pas moi; il m’a fait, Lui! »
(10) A tous ceux dont les organes sont en bon état, ce dehors des choses n’apparaît-il
pas ? Pourquoi donc ne parle-t-il de même à tous? Les animaux le voient, petits et grands, mais sans pouvoir interroger, faute d’avoir en eux, tandis que les sens rendent compte, la raison pour juge. Les hommes au contraire peuvent interroger : ils contemplent, saisies par l’intelligence à travers les créatures, les invisibles réalités de Dieu : mais l’amour les met en la dépendance des créatures et, dépendants, ils ne peuvent juger. Elles, de leur côté, ne répondent, à moins qu’il ne juge, à qui interroge, sans d’ailleurs changer leur discours, c’est -à -dire leur dehors, pour apparaître différentes à l’un et à l’autre, selon que l’un se contente de voir et que l’autre, en même temps qu ‘il voit, interroge. Non, à l’un comme à l’autre elles apparaissent de même façon, mais pour l’un elles se taisent et pour l’autre elles parlent, ou plutôt elles parlent pour tous, mais ceux-là comprennent qui comparent avec la Vérité au dedans le discours perçu au dehors. La Vérité, c’est elle qui me dit : « Ton Dieu, ce n’est pas le ciel et la terre ni aucun corps dont la substance dit à première vue que, masse, elle est moindre en ses parties qu’en son tout. Dès là (je m’adresse à toi, l’âme), tu vaux mieux, puisque tu pourvois, en lui donnant la vie, à la masse de ton corps, ce que nul corps ne fait pour le corps. Quant à toi, ton Dieu est la vie de ta vie. »
7(11) Lors donc que j’aime mon Dieu, j’aime quoi ? Quel est-il celui-là par- dessus la cime de mon âme ? Vers lui je monterai à travers mon âme elle-même. Je franchirai l’énergie que j’ai, par laquelle, adhérant au corps, je remplis, de façon qu’il y ait vie, sa construction. Je ne trouve pas mon Dieu en elle, sinon le cheval aussi le mulet, êtres sans intelligence, le trouveraient, puisque la même énergie fait également vivre leurs corps.
Il existe une autre énergie, principe en ma chair que Dieu me fabriqua, non seulement de vie, mais de sensation : elle commande à l’oil non pas d’entendre, à l’oreille non pas de voir, mais qu’ils me servent celui-là pour voir, celle-ci pour entendre, et ainsi un par un des autres organes appropriés en leurs sièges à leurs fonctions : par eux de façons diverses agit, être unique, l’âme que je suis. Elle encore, je franchirai cette énergie, puisque le cheval et le mulet la possèdent, qui, eux, comme moi, ont également la sensation.