Le Père éternel voyant l’infinie bonté et beauté de son essence si vivement, essentiellement et substantiellement exprimée en son Fils, et le Fils voyant réciproquement que sa même essence, bonté et beauté est originairement en son Père comme en sa source et fontaine, hé! se pourrait-il faire que ce divin Père et son Fils ne s’entr’aimassent pas d’un amour infini, puisque leur volonté par laquelle ils s’aiment, et leur bonté pour laquelle ils aiment, sont infinies en l’un et en l’autre?
L’amour ne nous trouvant pas égaux, il nous égale; ne nous trouvant pas unis, il nous unit. Or, le Père et le Fils se trouvant non seulement égaux et unis, mais un même Dieu, une même bonté, une même essence et une même unité, quel amour doivent-ils avoir l’un à l’autre! Mais cet amour ne se passe pas comme un amour que les créatures intellectuelles ont entre elles ou envers leur Créateur, car l’amour créé se fait par plusieurs et divers élans, soupirs, unions et liaisons qui s’entresuivent et font la continuation de l’amour avec une douce vicissitude de mouvements spirituels.
Mais l’amour divin du Père éternel envers son Fils est pratiqué en un seul soupir élancé réciproquement par le père et le Fils, qui en cette sorte demeurent unis et liés ensemble.( . ) , car la bonté du Père et du Fils n’étant qu’une seule très uniquement unique bonté, commune à l’un et à l’autre, l’amour de cette bonté ne peut être qu’un seul amour; parce qu’encore qu’il y ait deux amants, à savoir le Père et le Fils, néanmoins il n’y a que leur seule très unique bonté qui leur est commune, laquelle est aimée, et leur très unique volonté qui aime; et partant il n’y a aussi qu’un seul amour exercé par un seul soupir amoureux. Le Père soupire cet amour, le Fils le soupire aussi; mais parce que le Père ne soupire cet amour que par la même volonté et pour la même bonté qui est également et uniquement en lui et en son Fils, et le Fils mutuellement ne soupire ce soupir amoureux que pour cette même bonté et par cette même volonté, partant ce soupir amoureux n’est qu’un seul soupir, ou un seul esprit élancé par deux soupirants.
Et d’autant que le Père et le Fils qui soupirent, ont une essence et une volonté infinie par laquelle ils soupirent, et que la bonté pour laquelle ils soupirent est infinie, il est impossible que le soupir ne soit infini. Et d’autant qu’il ne peut être infini qu’il ne soit Dieu, partant cet esprit soupiré du Père et du Fils est vrai Dieu. Et parce qu’il n’y a, ni peut avoir qu’un seul Dieu, il est un seul vrai Dieu avec le Père et le Fils. Mais de plus, parce que cet amour est un acte qui procède réciproquement du Père et du Fils, il ne peut être ni le Père ni le Fils desquels il est procédé, quoiqu’il ait la même bonté et substance du Père et du Fils, ainsi faut que ce soit une troisième personne divine, laquelle avec le Père et le Fils ne soit qu’un seul Dieu. Et d’autant que cet amour est produit par manière de soupir ou d’inspiration, est appelé Saint-Esprit.( .) le roi David décrivant la suavité de l’amitié des serviteurs de Dieu, s’écrie :
O voici que c’est chose bonne
Qui mille suavités donne,
Quand les frères ensemblement
Habitent unanimement;
Car cette douceur amiable
Au très saint onguent est semblable,
Que dessus le chef on versa D’Aaron,
quand on le consacra :
Onguent, dont la tête sacrée D’Aaron était toute trempée,
Jusqu’à la robe s’écoulant,
Et tout son collet parfumant.
Mais, ô Dieu, si l’amitié humaine est tant agréablement aimable, et répand une odeur si délicieuse sur ceux qui la contemplent; que sera-ce de voir ( . ) l’exercice sacré de l’amour réciproque du Père envers le Fils éternel ? Saint-Grégoire Nazianzène raconte que l’amitié incomparable qui était entre lui et son grand saint Basile était célébrée par toute la Grèce; et Tertullien témoigne que les païens admiraient cet amour plus que fraternel qui régnait entre les premiers chrétiens. O quelle fête! Quelle solennité! De quelles louanges et bénédictions doit être célébrée, de quelles admirations doit être honorée et aimée l’éternelle et souveraine amitié du Père et du Fils! Qu’y a-t-il d’aimable et d’amiable, si l’amitié ne l’est pas?
Et si l’amitié est aimable et amiable, quelle amitié le peut être en comparaison de cette infinie amitié qui est entre le père et le Fils, et qui est un même Dieu très unique avec eux! Notre cour s’abîmera d’amour en admiration de la beauté et suavité de l’amour que ce Père éternel et ce fils incompréhensible pratiquent divinement et éternellement.