Dans cet ouvrage, Lytta Basset pose une question existentielle et spirituelle de première importance : la joie est-elle possible sur cette terre ? Elle construit sa réflexion à partir d’une interprétation particulière de Luc 15, 11-32, la parabole du père qui avait deux fils. Cette interprétation tout à fait originale ne déprécie ni n’idéalise aucun des trois personnages et associe étroitement vie affective et vie spirituelle. Ainsi, on découvre que le sentiment d’exclusion joue un rôle clef dans cette parabole. Au départ, aucun des personnages ne semble très proche des autres dans cette famille. Le cadet s’exclut lui-même et exclut les autres de sa vie. L’aîné exclut le père et le cadet. Le père chemine de son exclusion effective vers le désir d’inclusion. La parabole raconte un cheminement de l’exclusion et du sentiment d’exclusion à la possibilité d’un accueil qui se confonde avec la certitude d’exister.
La joie du père à la fin de la parabole a pris naissance au creux de l’expérience d’exclusion. La négativité a été le tremplin de cette joie qui n’a rien à voir avec la satisfaction du bébé repus, ni avec l’optimisme inconscient. La négativité de l’existence (l’échec, la faute, la frustration) creuse en nous l’aspiration à exister vraiment. L’angoisse d’exister constitue une forme de sens spirituel, dans la mesure où l’on ne se complaît pas dedans. La souffrance serait donc le matériau brut de la joie.
Au départ, la souffrance entraîne isolement, sentiment de perte, amoindrissement intime de l’être. Cette souffrance sera exacerbée par le sentiment qu’autrui est indifférent tout en sachant ce que je souffre, et qu’il vit cette plénitude dont je suis privé. C’est l’irruption de la compassion qui permettra de dépasser le « souffrir sans » et le « souffrir contre » en assumant chaque parcelle de ce qui a été éveillé en soi. La compassion trouve sa racine en Dieu qui est lui-même infinie compassion et qui souffre avec nous. La compassion crée un brèche dans l’enfermement intérieur. En ayant vu de face sa propre souffrance, un espace intérieur se crée pour accueillir la souffrance d’autrui, sur la base aussi de l’accueil de soi.
Sophie Tremblay