Nous sommes des milliards d’humains sur la terre. Les démographes et les statisticiens nous ont comptés et continuent de faire des calculs sur nos âges, la répartition des populations, le degré de scolarité, le partage des richesses et bien d’autres calculs tout aussi importants les uns que les autres. Il est une chose cependant pour laquelle les scientifiques n’ont pas de réponse, du moins pas de réponse précise. Ils n’arrivent pas à savoir exactement quel pourcentage de tous ces milliards goûtent au bonheur. Combien d’humains sont heureux? Combien sont malheureux?
Certains savants ont essayé de faire ce calcul. Ils ont pris pour indice la richesse, le partage des biens matériels. Mais ils ont découvert des gens heureux parmi les sans terre, les sans compte en banque, les sans argent. Ils ont croisé des millionnaires et des milliardaires tristes, désabusés, des riches qui s’ennuient mortellement. Les savants ont compris que l’argent ne fait pas le bonheur.
D’autres scientifiques ont calculé le degré d’éducation, la scolarité des populations. Mais ils ont vu rire et chanter des analphabètes comme ils ont vu pleurer des universitaires. Ils ne pouvaient donc pas faire leur calcul à partir de l’érudition des gens.
Combien d’humains sont heureux sur la terre? Pour que les savants parviennent à une réponse précise à la question, il leur faudrait interroger chaque terrien, chaque terrienne. Je suis persuadé qu’ils oublieraient vite d’accumuler des chiffres. Ils se passionneraient plutôt pour les causes du bonheur, pour les motifs qui rendent les gens heureux. Ils écouteraient attentivement un enfant raconter ses joies et un vieillard décrire sa sérénité. Ils se laisseraient fasciner par les yeux des amoureux ou le regard attendri des parents penchés sur le lit de leur enfant.
Et les savants apprendraient que le bonheur, c’est presque rien. Comme on dit: «Ça n’a pas de valeur!» C’est au-dessus de la valeur. C’est gratuit. Avant tout, le bonheur vit du don et de l’accueil. Donner et recevoir. Le pauvre qui donne un sourire peut être tout aussi heureux de son sourire que le riche qui bâtit une maison pour abriter des itinérants. Le marchand chante non pas parce que sa caisse se remplit mais parce qu’il donne de lui-même en vendant ses produits et parce qu’il goûte à la satisfaction de ses clients. Il y a beaucoup de parents heureux parce qu’ils sont tout entier consacrés à aimer leur progéniture, à donner constamment d’eux-mêmes à leurs petits. Ils sont heureux de tout ce qu’ils reçoivent de leurs enfants: la joie de les voir découvrir le monde, de les voir grandir et se développer.
Le bonheur est fait de don et d’accueil, en toute gratuité. Ton travail t’ennuiera si tu ne le transforme pas en don. Et la corvée la plus pénible peut devenir joyeuse activité si elle est assumée pour aider ou pour rendre service.
Pourquoi le bonheur est-il fait de don et d’accueil? Tout simplement parce que les humains ressemblent à Dieu. Son bonheur n’est-il pas fait de don et d’accueil? Dieu ne donne-t-il pas la vie depuis toujours? Dieu ne reçoit-il pas la vie depuis toujours? Dieu n’est-il pas parent, père et mère, qui se donne, et enfant qui reçoit. Dieu n’est-il pas offrande de lui-même et ouverture, hospitalité? N’est-ce pas ce que Jésus nous laissait soupçonner en levant un coin du voile qui recouvre le mystère de Dieu? «Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique.» (Jean 3, 16) «Tout ce qui appartient au Père est à moi.» (Jean 16, 15) «Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous guidera vers la vérité tout entière.» (Jean 16, 13)