« En mémoire de moi »
Les foules suivirent Jésus. Il leur fit bon accueil, leur parla du Royaume de Dieu et rendit la santé à ceux qui avaient besoin d’être guéris.. Or, le jour avait commencé à baisser. Les Douze s’approchèrent et lui dirent : « Renvoie la foule ; qu’ils aillent dans les villages et fermes des environs pour trouver logis et nourriture ; ici, nous sommes dans un endroit désert.» Il leur répondit : «Donnez-leur vous-mêmes à manger.» «Nous n’avons pas plus de cinq pains et de deux poissons, reprirent-ils. A moins peut-être d’aller nous mêmes acheter de la nourriture pour tout ce monde.» Il y avait bien cinq mille personnes. Mais Jésus dit à ses disciples : «Faites-les s’étendre par groupe d’une cinquante.» Ils obéirent et firent asseoir tout le monde. Prenant alors, les cinq pains et les deux poissons, Jésus leva les yeux au ciel, les bénit, les rompit et les donna à ses disciples pour les distribuer à la foule. Tous mangèrent à leur faim, et l’on ramassa ce qu’il avait de reste : douze paniers de morceaux !
Commentaire :
Depuis Pâques, nous avions quelque peu délaissé saint Luc et la lecture de son évangile pour faire place au disciple bien-aimé, l’apôtre Jean. Ce dimanche, nous retrouvons l’évangéliste et sa catéchèse. La question demeure toujours la même : pourquoi ce rappel du miracle de la multiplication des pains et à quelle question de l’église Luc veut-il apporter un éclairage ? L’interrogation ne peut manquer d’intérêt, suite à l’ampleur qu’a pris la dévotion à l’Eucharistie au cours des siècles : adoration du Saint-Sacrement, procession de la Fête-Dieu, réserve eucharistique, Quarante-heures, dont peu se souviennent sans doute, saluts du Saint-Sacrement, clôtures usuelles de beaucoup de nos célébrations, communion quotidienne prônée par Pie X, voire même la communion en dehors de la messe. N’y a-t-il pas en tout ceci comme une excroissance de notre foi et de la dévotion au Saint-Sacrement ? Ce miracle de la multiplication des pains saura-t-il donner quelque sens à toute la dévotion qui s’est constituée au cours de siècles autour de l’Eucharistie.
La législation concernant la manne au désert peut nous servir d’indice pour élucider le miracle de la multiplication des pains et surtout l’ordre d’en ramasser les restes. Nous lisons au livre de l’Exode (16 :12-19) : «Yahvé parla à Moise et lui dit : J’ai entendu les murmures des enfants d’Israël. Dis-leur donc : Entre les deux soirs, vous mangerez de la viande, et, au matin, vous vous rassasierez de pain.» Le lendemain matin, une couche de rosée recouvrait les alentours du camp. Cette couche de rosée évaporée apparut à la surface du désert comme quelque chose de menu, de granuleux et de fin comme le givre sur le sol. A cette vue, les enfants d’Israël s’interrogèrent mutuellement : «Qu’est-ce que cela (en hébreu mân hû, i.e. manne) ? » Moïse leur dit : « C’est le pain que Yahvé vous procure comme nourriture. Recueillez-en chacun selon vos besoins. Que personne n’en réserve pour demain.» Dans la foulée de cet interdit du désert, évoquons le miracle du prophète Élisée (2 Rois 4 :42-44) : «On mangera et on en aura de reste. Il leur servit, ils mangèrent et en eurent de reste selon la parole de Yahvé. » Le souci des restes n’était-il que d’éviter que rien ne se perde ou ne périsse comme disaient nos mères : Il ne faut pas jeter le pain.
Les cinq pains multipliés et distribués aux cinq milles personnes constituent un aliment supérieur à la manne ; le pain symbolise ici cet aliment impérissable pour lequel il faut travailler. (Jn 6:27) La surabondance de ce miracle, les douze corbeilles de pains, fait écho au miracle de Cana en Galilée et les six outres pleines de vin nouveau. Faut-il nous demander ce qu’on fera des restes comme du vin de Cana dont certain Père de l’Église aurait pu dire : «Tout n’a pas été bu et nous en buvons encore.» N’y aurait-il pas ici une leçon pour qui vit dans l’abondance spirituelle, particulièrement l’Eucharistie et les diverses formes de dévotions qu’elle a engendrées : la préoccupation des frères et sours qui ne pourraient bénéficier de la distribution. Tous les biens dont nous jouissons en abondance, nous les avons reçus et devons les administrer pour les partager avec nos frères et sours lorsqu’ils s’approchent de la table pour réclamer les miettes qui en tombent (Mc. 7 :24-30) Nous devons garder, surtout autour de l’Eucharistie, la préoccupation de ceux d’entre nous qui ne peuvent encore bénéficier de la distribution et qui reviendront un jour à la maison.» (Lc.15 :29-30)
Le ministère de la Parole et du Pain ne se résume point à distribuer à ceux et celles qui ont répondu à l’invitation du Maître, il doit être aussi convocation des invités négligents, insistance auprès des apathiques et, aux carrefours des routes, appel à tous au festin préparé (Lc.14 :15-24). C’est là, en Eucharistie sous toutes ses formes, que l’Église se retrouve, se rassemble, se rassasie, signifie son unité et son amour, quel que soit le mode de dévotion qu’elle tire du Tabernacle de la présence ou qu’elle prolonge à partir de l’Autel, comme une longue et interminable action de grâce à travers les siècles. L’une ou l’autre de ces formes de dévotion à l’Eucharistie peut devenir un jour source de lumière pour les uns ou les autres.
L’Eucharistie et ses prolongements sont multiplication et action de grâce : « Il prit le pain, le rompit et rendit grâce», et il ajouta : « FAITES CECI EN MÉMOIRE MOI ! » (Lc 22 :19).