Au ciel ! Au ciel ! Au ciel !
Jésus ressuscité, apparaissant à ses disciples, leur disait : « Il fallait que s’accomplisse ce qui était annoncé par l’Écriture : les souffrances du Messie, sa résurrection d’entre les morts le troisième jour, et la conversion proclamée en son nom pour le pardon des péchés à toutes les nations, en commençant par Jérusalem. C’est vous qui en êtes les témoins. Et moi, je vais envoyer sur vous ce que mon Père a promis. Quant à vous, demeurez dans la ville jusqu’à ce que vous soyez revêtus d’une force venue d’en haut.» Puis ils les emmena jusque vers Béthanie, et, levant les mains, il les bénit. Tandis qu’il les bénissait, il se sépara d’eux et fut emporté au ciel. Ils se prosternèrent devant lui, puis ils retournèrent à Jérusalem, remplis de joie. Et ils étaient sans cesse dans le Temple à bénir Dieu.
Commentaire :
«J’irai la voir un jour.» Où ? En haut ? En bas? Au-dessus des nuages? Au sein de la terre ? Dans le schéol ? Jamais personne n’en est revenu. Qui peut dire le chemin, révéler ce que l’on y fait ? L’éternité, c’est long et ça ne finit plus.
Pour saint Luc, les événements relatés en ce chapitre 24e et l’Ascension semblent se dérouler le jour même de Pâques, le premier jour de la semaine. Pour l’évangéliste, l’important est d’embrasser d’un seul regard l’ensemble des événements. Et s’il y a unité de temps, nous y trouvons également, comme dans les grandes scènes cornéliennes unité de lieu, c’est à dire Jérusalem. Seul l’événement sur la route d’Emmaüs dérive. Et pour conclure, l’unité de récit vient parfaire la narration : il s’agit d’une même relation d’apparitions. C’est ce dont les «nouveaux» témoins, les apôtres, et pour reprendre la définition des Actes (1 :21) : « tous ceux qui ont accompagné Jésus depuis son Baptême jusqu’au jour où il fut enlevé», devront rendre compte, non comme hypothèses, mais comme faits historiques certains. (Ac. 1:21+) C’est comme croyants qu’ils se présenteront eux-mêmes et susciteront une adhésion de foi. Les apôtres ont dû comme nous, pour accepter la résurrection malgré toutes les apparitions, abandonner leurs raisonnements humains et leur propre logique. Ce ne fut pas toujours facile (Lc.24 :11.38.41 ;24 :25).
Mais ce qui nous retient en cette fête de l’Ascension, c’est la question du Ciel, de l’Au-delà. Pour grand nombre de croyants, la perspective perd de son intérêt en raison du climat de sécularisation dans lequel notre monde baigne. Le texte de Nietzsche, «Ainsi parlait Zarathoustra» , est de grande actualité : «Je vous en conjure, frères, demeurez fidèles à la terre et ne croyez pas ceux qui parlent d’espérances supra terrestres. Sciemment ou non, ce sont des empoisonneurs, des contempteurs de la vie, des intoxiqués dont la terre est lasse !. Désormais le crime le plus affreux, c’est de blasphémer la terre et d’accorder plus de prix à l’insondable qu’au sens de la terre». «Un ciel compensateur, selon Camus, ne constitue plus une thérapeutique aujourd’hui ; ce sont des chloroformes qui tendent à endormir les énergies de l’être humain dans les combats de la vie.» La pensée de la vie éternelle tend à distraire l’homme de ses tâches temporelles, et à déserter l’ouvre de l’édification d’un monde terrestre plus habitable.
Combien ne lancent-ils pas un jour : «J’ai bien hâte de mourir !»
En somme, ce que notre monde rejette ou ce dont il doute, le Ciel, est-ce bien celui que vise l’authentique espérance chrétienne? Ne serait-ce au contraire qu’une caricature, produit de catéchèses plus ou moins crédibles. Contestant Jacques Maritain, quelqu’un écrivait : «Il est possible de croire en l’autre monde tout en demeurant quelque peu dans l’ombre de la foi. Il est très difficile de parler du Paradis, alors que par contre le mystère de la Communion des saints trouve plus aisément le chemin du cour et permet de parler d’un autre monde en termes plus éclairants.» Même l’expression «vision béatifique», le ciel conçu comme un pur spectacle sans fin pour témoins passifs et repliés sur eux-mêmes, risque de susciter plus d’ennui que de bonheur. En outre, le salut, entrevu de façon purement individuelle, «mon salut», offusque la pensée contemporaine tellement soucieuse de solidarité entre les hommes. Enfin, alors que certains enseignements présentent le ciel sans lien avec la vie terrestre, comme une récompense accordée au terme de l’existence, le danger est grand de déprécier ainsi les tâches terrestres ; d’autres décrivent le ciel comme une revanche sur les misères d’ici-bas : «Ca ira mieux au ciel» On dit que le chrétien souffre moins quand il croit. Conception magique de la foi. Le ciel n’a rien d’une solution aux misères et aux choses d’ici-bas.
Nous sommes des hommes qui attendent un monde nouveau, nous savons que la figure de ce monde est transitoire. Mais le Ciel, l’Au-delà. des mots qui ne disent rien de concret. Nous avons besoin de vérités susceptibles de nous apporter une certaine idée du mystère de cet Au-delà, vers lequel le Christ nous attire en son Ascension : «Ce que l’oil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas monté au cour de l’homme, tout ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment.» (1 Co. 2 :9; Is.64 :3 et Jr.3:16)
Le ciel est un état plus qu’un lieu. En un sens, le Ciel est déjà commencé pour nous ici-bas, dès que nous sommes entrées par la foi et les sacrements dans la vie éternelle. Le ciel, ce n’est pas une autre vie, vécue après la mort. Pour qui croit, il n’est pas d’autre vie que celle dont il est responsable aujourd’hui et l’engage pour toujours. Loin de justifier une évasion des tâches terrestres, le Ciel doit donner sens à l’étape présente d’une vie unique. Il importe de parler du Ciel en manifestant le lien qui l’unit à la terre et à la vie actuelle. «Les chrétiens, en marche vers la cité céleste, doivent rechercher et goûter les choses d’en haut,» enseignait saint Paul (Col.3 :1-12), mais cela ne doit point diminuer, mais au contraire, accroître la gravité de l’obligation qui est leur de travailler avec tous à la construction d’un monde plus humain. (Gaudium et Spes. 57&1) La terre n’est pas une salle d’attente du ciel : «Le Royaume de Dieu est au-dedans de vous.»(Luc17 :20) «Celui qui croit en moi a la vie éternelle.» (Jn.6 :47)
La meilleure image pour parler du Ciel de notre foi, c’est celle d’une authentique relation personnelle avec Dieu et avec nos frères. Ce qui n’empêche que le Ciel sera une surprise parce que constitué par l’imprévisible de nos relations interpersonnelles. Tout ce qui veut être discours valable concernant le ciel doit être calqué sur les plus riches expériences humaines. Dans les Évangiles, les images évocatrices de la vie céleste sont celle du repas (Mat. 8 :11 ), des noces (Mt.22.2+; 25 :1+) et du Royaume. L’apocalypse ajoute à ces images celles de tribus, foules, liturgies jubilantes, et de nouvelle Jérusalem, toutes images sociales. Le Ciel n’a donc rien d’un bonheur égoïste avec Dieu. Toute l’humanité réunie en Jésus Christ, le rêve de la fraternité universelle réalisé, de la paix, de la justice, voilà ce que sera le ciel. Parler du ciel, c’est parler du sens de la vie, du bonheur, de la liberté, de l’amitié, avec une touche d’infini. Cela ne finira jamais si cela est commencé dès ici-bas.
«Au ciel, au ciel, au ciel, j’irai la voir un jour,» non seulement la Vierge de Mai, mais encore tous ceux et celles dont j’ai eu tant de peine à me séparer. Nous ferons alors la fête des retrouvailles éternelles et de tous nos rêves terrestres auxquels nous aurons collaborés. Et sans doute y retrouverons-nous aussi Dieu, Père, Fils et Esprit!