Le milieu divin
Au cours du denier repas que Jésus prenait avec ses disciples, quand Judas fut sorti, Jésus déclara : «Maintenant le Fils de l’homme est glorifié, et Dieu est glorifié en lui. Si Dieu est glorifié en lui, Dieu en retour lui donnera sa propre gloire ; et il la lui donnera bientôt.»
«Mes petits enfants, je suis encore avec vous, mais pour peu de temps. Je vous donne un commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi, aimez-vous les uns les autres. Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c’est l’amour que vous aurez les uns pour les autres. »
Commentaire :
Inspiré par une des rares paroles explicitement attribuées à Dieu dans l’Apocalypse, (21 : 5) : «Voici que je fais l’univers nouveau» (2e lecture) , amorçons notre réflexion pour ce 5e dimanche de Pâques par une réflexion de Teilhard de Chardin : «Sous l’enveloppe banale des choses, de tous nos efforts épurés et sauvés, s’engendre graduellement la Terre nouvelle. Comme un éclair jaillissant d’un pôle à l’autre la Présence accrue du Christ dans les choses se révélera brusquement, elle envahira la face de la Terre. Comme la foudre, comme un incendie, comme un déluge, l’attraction du Fils de l’homme saisira pour les réunir et les soumettre à son Corps, tous les éléments tourbillonnants de l’Univers. Celui qui aimera passionnément Jésus caché dans les forces qui font grandir la Terre, maternellement, la terre le soulèvera dans ses bras géants et elle le fera contempler le visage de Dieu.» (Teilhard de Chardin : «Le Milieu divin»)
Que trouver de plus chatoyant comme enluminure de l’hommage au Fils de l’homme présenté dans ce court extrait de l’évangile de saint Jean (20 : 31-32) : «Maintenant, le Fils de l’homme est glorifié et Dieu est glorifié en lui. Si Dieu est glorifié en lui, Dieu en retour lui donnera sa propre gloire et il la lui donnera bientôt.» La gloire signifie une pleine connaissance accompagnée de louange. Le verset 31e évoque cette gloire acquise par le Christ au cours de sa vie terrestre et le verset 32e, celle que lui vaudront sa passion et sa résurrection.
Telle est la foi pascale de l’Église, l’«aujourd’hui» de l’Église dans laquelle vivait l’auteur du 4e évangile. Ainsi faut-il entendre ces paroles prononcées par Jésus au cours de sa vie terrestre. C’est dans ce «Maintenant» de l’Église après l’événement pascal que tout reprend vie, que tout s’innove, dans ce «Maintenant» de l’Église que le Père est adoré en esprit et vérité et que les morts écoutent la voix du Fils de Dieu et reçoivent la vie (4 : 23 et 5 : 24-25) . Ces paroles ainsi que le chapitre 17e de l’évangile de Jean ne peuvent vraiment bien se comprendre qu’après les événements de Pâques. Le texte de ce dimanche rapporte les paroles du Ressuscité, mais ils tirent leur sens profond du contexte de vie liturgique de la communauté chrétienne de «Maintenant», i.e. d’alors.
Dans cette optique de renouveau, soulignant à peine l’exclusion du traître, le «Discours d’adieu» débute par un appel à l’amour fraternel, l’objet du testament spirituel de Jésus qu’il lègue pour une des rares fois à «Mes petits enfants» Et c’est du neuf, de l’inédit. L’Ancien testament prescrivait d’aimer son prochain comme soi-même ; l’évangile de Jean parle d’aimer les autres comme Jésus nous a aimés. «Lui qui a donné sa vie pour nous, ainsi nous devons donner notre vie pour nos frères» (I.Jn.3; 16) Ce commandement est nouveau parce que nous devons nous aimer selon une mesure nouvelle, la mesure de l’amour de Jésus : aimer jusqu’à donner sa vie pour ceux que l’on aime. Jésus devient ainsi la règle suprême et le modèle du disciple et ce commandement nouveau sera le signe distinctif des disciples de Jésus (13 : 35). «A ceci tous reconnaîtront que vous êtes disciples, à cet amour que vous aurez les uns pour les autres.» Nulle part ne se trouve dans le Nouveau Testament, pareille identification du disciple à Jésus. Du temps de Jésus, le signe n’était pas nécessaire, il suffisait de l’écouter et de le suivre ; mais après son départ, ce style de vie basé essentiellement sur l’amour fraternel constituait le signe, la pièce d’identité.
Et ainsi peut-on faire le joint entre l’une et l’autre section de ce bref évangile du 5e dimanche : par ce commandement nouveau, l’amour fraternel jusqu’au don de soi, se manifestera la gloire du Fils de l’homme et se construira, de ce fait, le Milieu divin aux frontières plus étendues encore que les limites de l’Église : «Création en attente de la révélation de fils de Dieu» (Rm.8 :19).
«Celui qui aimera passionnément Jésus caché dans les forces qui font grandir la Terre, la Terre la soulèvera dans ses bras géants et, maternellement, lui fera contempler le visage de Dieu.»