D’une question à l’autre
«Les foules qui venaient se faire baptiser par Jean lui demandaient : «Que devons-nous faire ?» Jean leur répondait : «Celui qui a deux vêtements, qu’il partage avec celui qui n’en a pas ; et celui qui a de quoi manger, qu’il fasse de même»
De publicains, collecteurs d’impôts, vinrent aussi se faire baptiser et lui dirent : « Maître que devons-nous faire ? » Il leur répondit : « N’exigez rien de plus que ce qui vous est fixé ».
A leur tour, des soldats demandaient : « Et nous, que devons-nous faire ? » Il répondit :« Ne faites violence ni tort à personne, et contentez-vous de votre solde ».
Or le peuple était en attente, et tous se demandaient en eux-mêmes si Jean n’était pas le Messie. Jean s’adressa alors à tous : « Moi, je vous baptise avec de l’eau ; mais il vient, celui qui est plus puissant que moi. Je ne suis pas digne de défaire la courroie de ses sandales. Lui vous baptisera dans l’Esprit saint et le Feu. Il tient à la main la pelle à vanner pour nettoyer son aire à battre le blé, et il amassera le grain dans son grenier ; quant à la paille, il la brûlera dans un feu qui ne s’éteint pas.»
Commentaire :
Par ces exhortations et bien d’autres encore, il annonçait au peuple la Bonne Nouvelle ».
Ce passage de Luc fait partie d’un ensemble (3, 1-20) bien agencé au plan littéraire et logique des idées. Le morceau se compose de cinq petites unités dont la cohésion est assurée par des mises en scène qui définissent bien les circonstances (3:1-2, 7, 10, 15, 18)
1. Entrée en scène du Baptiste (1-6)
2. Sermon de conversion (7-9)
3. Dynamique de conversion (10-14)
4. Mission du Baptiste (15-18)
5. Emprisonnement du Baptiste.
Seul le passage 10-18 nous retiendra autour de deux questions, provoquées l’une par l’autre en liaison avec le baptême de Jean : Que ferons-nous et Qui es-tu ?
Que ferons-nous ?
Après un prélude à une invitation à la conversion, discours style prophétique, rempli d’invectives et de menaces (Is. 30 : 28-33, 41 : 15-16 et Jér.22 : 7), Jean donne ici des avis particuliers à trois catégories de personnes venues demander le baptême, et soucieuses de savoir que faire dans l’esprit de leur conversion. L’appel à la conversion (3 : 7-9) doit se réaliser dans la pratique. Renoncer à la route suivie jusqu’ici pour prendre la « voie de Yahvé » exige de poser des actes de conversion dans son existence quotidienne et son milieu de vie.
a) Aux foules anonymes, dans l’esprit du prophète Isaïe : «Partage ton pain avec l’affamé et ceux qui sont nus» (I.58 : 7), Jean demande de partager avec les pauvres sans toutefois se dépouiller de tout.
b) Aux collecteurs d’impôts, les publicains, tentés de s’enrichir en exigeant des contribuables des sommes supérieures à celles officiellement fixées, cause de leur réputation de voleur, Jean conseille d’être honnêtes.
c) Aux soldats, juifs enrôlés pour prêter main-forte aux collecteurs d’impôts, Jean demande de ne pas user de la force et de ne pas dénoncer à tort les gens suspects des cacher leurs revenus.
Ces avis sont bien différents du ton virulent des recommandations qui précèdent (7-9), données à la foule, aux publicains et aux soldats ; ce sont des préoccupations de justice sociale que Jean donne à la question posée à trois reprises : « Que ferons-nous ? ». Nous retrouvons ici non seulement l’esprit des prophètes pour qui les dévotions devaient céder le pas à toute forme de justice sociale (Isaïe 1 : 10-20 et Amos 5 : 21-27), mais également l’esprit de l’Église de la Pentecôte, tel que décrit au Livre des Actes (2 : 44 et 4 : 32-35).
Dans quelle mesure ces appels nous rejoignent-ils au 21e siècle ? Notre conscience fait souvent la sourde oreille à pareilles dénonciations comme si nous ne pouvions être responsables de tant d’injustices à travers le monde. «J’ai fait mon possible», «J’ai travaillé toute ma vie », «Mon argent, je l’ai gagné à la sueur de mon front», «C’est ma propriété et c’est mon droit légitime», autant d’excuses susceptibles d’endormir nos consciences d’occidentaux alors que partout ailleurs la classe pauvre ne cesse de croître et bientôt définir l’ensemble plus que majoritaire de l’humanité.
La conversion comporte toujours et nécessairement des actes concrets. Il ne suffit pas de changer sa manière de penser, ses sentiments, sa « bonne » volonté. La conversion commence assurément là, mais c’est seulement par les actes qu’elle parvient jusqu’au bout. Telles étaient les exigences de conversion promues par le Baptiste en préparation à la venue du Christ.
Qui es-tu?
La question est classique. A quelques reprises, on la retrouve dans le Nouveau Testament : sur les lèvres des disciples de Jean baptiste venus questionner Jésus (Mat.11:13), Jésus lui-même interrogera ses disciples en ce qui le concerne… Mais, cette première fois, c’est la foule qui s’interroge alors que, selon la version de Jean l’évangéliste, ce sont des prêtres et des lévites envoyés par les Juifs qui viennent interpeller Jean. (1:19-25) : Qui es-tu ? Et pourquoi baptises-tu?
La carte d’identité demandée ne concerne pas tant les origines nationales de la personne comme sa raison d’être ou d’agir. Jean enverra de ses disciples demander à Jésus : « Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre » (Mat.11 : 13) ; pourtant, c’est ce même Jean qui avait pointé Jésus du doigt dans la foule en s’écriant : « Voici l’Agneau de Dieu » (Jn 1 : 29-30), il ne savait que penser, tant sa vision du Messie était totalement différente. C’est à Jean, cette fois, que l’on demande : « Pourquoi donc baptises-tu si tu n’es ni le Christ, ni Élie, ni le prophète ? » ( Jn 1 : 25).
Sens du baptême
Le Baptême, motif de la question posée, le symbolisme de l’eau étaient dans toutes les religions signe de purification et de vie. Les apôtres ont évoqué plusieurs événements de l’Ancien Testament comme préfigurations du baptême : le déluge, le passage de la Mer Rouge… (1 Pi.3 : 20 + ; 1 Co.10 : 1+). Dans la Loi, plusieurs ablutions rituelles étaient exigées comme susceptibles de rendre aptes au culte et à purifier (Nom. 19 : 2-10). Ézéchiel associe cette purification au don de l’Esprit de Dieu (36 : 24-28), purification qui pouvait contribuer à obtenir la purification du cour lorsque s’y joignaient des sentiments de repentir. Dans la secte des Esséniens, dont Jean faisait partie, le bain rituel était admissible pour qui manifestait une conversion sincère. Enfin, baptiser était le privilège de celui qui, comme les pharisiens, faisait des nouveaux convertis ( Mt. 23:15).
Les deux baptêmes
Pour Jean, le baptême réalisait l’agrégation à la descendance d’Abraham (Mt.3 : 8). C’était un baptême unique, donné dans les eaux du Jourdain en signe de repentir et de pardon (Mc. 1 : 4) Jésus lui-même va se soumettre humblement à ce rituel et ainsi prendre place parmi les pécheurs. N’est-il pas l’Agneau de Dieu qui prend sur lui les péchés du monde (Jn.1 : 29,36).
Cela n’a pas empêché le Baptiste d’annoncer le baptême de Jésus dans l’Esprit saint et le feu : «Il vient, celui qui est plus puissant que moi… Lui vous baptisera dans l’Esprit saint et le Feu ». (Luc, 3:16) Le baptême dans l’Esprit saint indique le don messianique promis alors que le Feu rappelle le jugement qui commence à s’accomplir avec la venue de Jésus. Ce jugement, Luc le décrit en termes prophétiques ( 3:17).
Le baptême que Jésus va conférer inaugure notre intégration au Peuple nouveau, l’Eglise. Bain de régénération et renouvellement dans l’Esprit Saint (Tite 3 : 5), cette conversion baptismale comporte une conversion totale, une donation au Christ. Tel est bien le sens de la réplique aux deux disciples qui prétendaient à une place à droite et à gauche du Christ dans le Paradis (Mat.20 : 20).
Jean annonce donc le Messie avec des images puissantes et très significatives pour le monde juif, tout vibrant à sa vue en relation avec leur attente du Messie (3 : 15 ).
Deux questions dont nulle ne peut nous laisser indifférents ces jours qui nous acheminent si rapidement vers Noël, deux questions pour une conversion totale et quotidienne. En faut-il davantage pour parer notre âme de lumière, de justice et d’amour, la religion préférée de Dieu. (Jacques 1 : 27).