Vigilance
«Jésus parlait à ses disciples de sa venue : «Il y aura des signes dans le soleil, la lune et les étoiles. Sur terre, les nations seront affolées par le fracas de la mer et de la tempête. Les hommes mourront de peur dans la crainte des malheurs arrivant sur le monde, car les puissances des cieux seront ébranlées. Alors, on verra le Fils de l’homme venir dans la nuée, avec grande puissance et grande gloire. Quand ces événements commenceront, redressez-vous et relevez la tête, car votre rédemption approche.
«Tenez-vous sur vos gardes, de crainte que votre coeur ne s’alourdisse dans la débauche, l’ivrognerie et les soucis de la vie, et que ce jour-là ne tombe sur vous à l’improviste. Comme un filet, il s’abattra sur tous les hommes de la terre. Restez éveillés et priez en tout temps : ainsi vous serez jugés dignes d’échapper à tout ce qui doit arriver et de paraître debout devant le Fils de l”homme.»
Commentaire :
Dans les versets précédents, l’évangéliste Luc énumérait quelques épisodes dont il devait être témoin. Ici, son regard quitte ces perspectives historiques pour se porter vers la Fin des temps annoncée en signes cosmiques. Ces signes sont, dans les apocalypses, le décor classique du jugement final. Ils proviennent des tableaux prophétiques de la victoire de Dieu sur les mauvais anges et les divinités d’Assur et de Babylone. Mais, en vrai, ni l’auteur ni même Jésus ne pensent à un réel combat contre les dieux païens ; ce sont de vieilles images de la tradition exprimant tout simplement une intervention définitive de Dieu sur un monde qu’il veut libérer de tout mal. «Je vis un ciel nouveau, une terre nouvelle. Et je vis la Cité sainte, la Jérusalem nouvelle, qui descendait du ciel de chez Dieu ; elle s’était faite belle, comme une jeune mariée parée pour son époux. J’entendis alors une voix clamer, du trône : « Voici le demeure de Dieu avec les hommes. Il aura sa demeure avec eux ; ils seront son peuple et lui, Dieu-avec-eux sera leur Dieu. Il essuiera toute larme de leurs yeux ; de mort, il n’y en aura plus ; de pleur, de cri et de peine, il n’y en aura plus, car l’ancien monde s’en est allé ».(Apocalypse 21:1-4)
Dans les apocalypses juives, révélations concernant la fin des temps, on trouvait une série d’épisodes complexes : résurrection, jugement, salut des élus, châtiment des méchants et l’établissement d’un monde nouveau, la Jérusalem céleste. Ici tout est condensé dans l’événement triomphal : la venue du Fils de l’homme, l’annonce qui en est faite et un appel à l’espérance, car malgré l’aspect redoutable de tous ces événements, les fidèles de Jésus n’ont rien à craindre, ces événements manifestent la victoire et la domination de leur Maître, leur délivrance. La condition est qu’il soient vigilants.
Vigilance, amour et joie
La vigilance doit nous habiter, enseignait saint Grégoire, et elle serait bien médiocre et fragile si elle n’était habitée que par la crainte ou la peur de voir s’écrouler un jour ce monde visible dans lequel nous vivons. « Pleurer à cause de la destruction du monde est le propre de ceux qui ont enfoncé les racines de leur coeur dans l’amour de ce monde et qui ne recherchent pas la vie qui doit venir après et n’en soupçonnent même pas l’existence »… (1ère homélie sur les évangiles).
Également indigne d’un coeur fidèle, qui ne se maintiendrait en éveil que par crainte du face à face avec le Christ. (saint Augustin : Sur le psaume 47.1). « Nous l’aimons, mais nous craignons qu’il vienne ! L’aimons-nous vraiment ? » (S. Augustin, Psaume 95.14). Seul l’amour et le désir du Christ peuvent nous garder vigilants. « Je veux vous voir exempts de soucis », écrivait Paul aux Corinthiens (1:7,32)
La vigilance du Chrétien est la vigilance du coeur qui aime, du coeur dont l’amour et le désir souhaitent ardemment la venue du Règne de Dieu. Elle implique également la liberté du coeur, la libération de tout souci. La mesure de notre désir de la venue du Christ est la mesure de notre amour réel pour lui, Nous serons d’autant plus vigilants que notre désir de le voir sera plus grand et que notre Amour pour lui sera vrai. Ainsi, loin d’être source de crainte, la venue du Seigneur sera une cause de joie dans le coeur du fidèle. Seul l’« ami du monde » ne peut se réjouir de voir approcher la fin du monde, la fin de ce monde.
Ne pas être absents de ce monde
Qu’impliquent à vrai dire ces fondements et caractères de la vigilance chrétienne, et ce, dans notre vie quotidienne ? Le danger ne serait-il pas, que tourné vers l’événement qui peut d’un moment à l’autre abolir notre univers, de provoquer un oubli de cette terre et de sa vie de chaque jour ? Certains ont tiré semblables conclusions des paroles du Christ. La seconde lettre de Paul aux Thessaloniciens constitue comme une mise en garde aux frères et aux soeurs « qui se laissent agiter l’esprit et alarmer par des paroles prophétiques, des propos ou des lettres données comme venant de nous et qui feraient penser que le Jour de Seigneur est déjà là ». Il ajoutait : « Nous vous prescrivons au nom du Seigneur Jésus Christ de vous tenir à distance de tout frère qui vit dans l’oisiveté et ne se conforme pas à la tradition que vous avez reçue de nous »:La pensée de la venue du Christ ne doit pas pousser les chrétiens vers le désert ni les retirer du monde. Désirer la venue du Christ, s’est concrètement obéir à ses commandements, oublier le vieil homme pour nous tourner résolument vers les biens promis par le Christ.
Demeurer éveillé, être vigilant, enseignait s. Grégoire (13e homélie sur les évangiles) exige à la fois de contempler la vérité et d’agir courageusement sans jamais se lasser. « Celui qui veille, c’est celui qui par ses oeuvres garde ce qu’il croit ; celui qui veille, c’est celui qui repousse loin de lui les ténèbres de la torpeur et de la négligence ». Il ajoutait :« Frères très chers, appliquez-vous de toutes vos forces à penser à ce jour ; amendez vos vies, changez vos moeurs, résistez aux maux qui vous tentent, remportez la victoire, expiez par vos larmes les péchés ceux que vous avez commis»(1ère homélie sur évangiles).
Une autre parabole des évangiles décrit l’attitude de la vigilance recommandée en ce temps de l’Avent : le fidèle serviteur qui attend le retour de son maître. Il sait qu’il devra rendre compte des biens que le Maître lui a confiés, aussi demeure-t-il dans une vigilante attente et met tout son zèle à bien administrer les biens qu’il lui a laissés en gérance. « Administre comme il faut ce que tu as reçu mission de Dieu d’administrer et de dispenser. Des richesses t’ont été confiées, administre-les bien. L’enseignement de la parole t’a été confié ? Dispense-le bien. Tu peux te gagner les âmes de ceux qui t’écoutent. Fais-le avec diligence. Nombreuses sont les formes d’une saine administration». (15e catéchèse de s.Cyrille).
C’est Jean Chrysostome qui enseignait :« Celui qui administre les biens de l’Église, ne peut dépenser au hasard et selon ses caprices car ce qu’il a reçu de vous, vous l’avez donné pour l’entretien des pauvres. Vous ne pouvez davantage user ainsi pour vous-mêmes de vos biens. Tout ce que vous possédez vous aurait-il été transmis par vos ancêtres, tout cependant appartient à Dieu… Écoutons donc, nous tous qui nous livrons aux plaisirs de la table, qui dépensons en repas somptueux un argent qui n’est pas à nous, mais aux pauvres. N’allez pas vous imaginez qu’il est à vous parce que la miséricorde, dans ses inépuisables inventions, vous a prescrit d’en fait part aux autres comme si c’était une chose qui vous appartenait » (77e homélie).
C’est dire avec tous ces enseignements de nos Pères dans la foi que, comme chrétien, nous ne pouvons vivre l’attente de la divine rencontre en oubliant notre engagement terrestre. Nous vivons dans un monde dont nous sommes comptables et au milieu des hommes dont nous sommes responsables. Voilà ce que veut dire en somme être vigilants dans la vérité, la paix et l’amour.