Que peut-il sortir de bon de Nazareth ? » demandait déjà Nathanaël, dubitatif, dans l’Evangile de Jean. Et aujourd’hui ? Qui pourrait croire que, dans cette ville de Galilée essentiellement peuplée d’Arabes israéliens, l’expérience d’un humble curé palestinien puisse ressusciter l’espoir envers et contre toutes les haines prétendument héréditaires ? Pourtant, depuis plus de vingt ans, Emise Soufani a réussi, sur les lieux mêmes où vécut Jésus, à redonner vie au message évangélique de réconciliation.
Dans les villages de Galilée comme dans l’école modèle qu’il dirige, le curé de Nazareth s’est fait l’ami des Druzes, des musulmans, des juifs, et le prophète infatigable de la paix auprès des jeunes générations. A travers son combat, c’est toute une aventure spirituelle qui nous est contée : celle d’une résistance concrète à l’injustice et à la violence, fondée sur la foi en l’Evangile.
Devenir israélien mais rester palestinien
Pénétrer el milieu israélien ne doit pas signifier perdre ses racines. Tous les ans, Emile organise des « semaines palestiniennes » à thème culturel. La première fois, ce fut une « semaine du folklore », modèle qui choqua quelque peu les esprits, mais qui, depuis, a été adopté par la plupart des écoles et des villages de Galilée. Fort de ce succès, il enchaîne sur d’autres thèmes ; la manière de vivre, les grandes figures palestiniennes, la femme palestinienne seront évoquées au cours d’animations et de saynètes. Emile se plaît aussi à faire revivre la figure de Daher el-Omar, ce chef musulman, gouverneur de Nazareth, qui essaya, à l’époque de la domination turque, de construire un Etat autonome en Palestine. Il réussit à pacifier plusieurs régions, à développer des relations avec l’Occident. Son Etat intégrait les juifs et les chrétiens à l’intérieur d’une démocratie, où chaque communauté vivait en paix. Son histoire permet à Emile de parler à la fois de l’unité possible entre juifs, chrétiens et musulmans, et d’évoquer la possibilité d’un Etat palestinien.
Rencontrer l’autre
« La clef de tout ce que je fais, c’est l’amour inspiré de l’Evangile ». Sans cesse, Emile martèle la formule. Tel un leitmotiv qui accompagne son quotidien, il scande ces mots, non pour convaincre ceux qui, le voyant vivre, en sont déjà persuadés, mais pour affirmer, devant les hommes et devant Dieu, que son action, si sociale, si concrète soit-elle, relève avant tout d’une démarche de pasteur. « Je n’ai jamais eu de méthode ou de philosophie autre que celle de prendre la vie des gens comme une pastorale, c’est-à-dire une relation fondée sur la fraternité, le respect, le dialogue, un travail fait dans l’esprit de l’Evangile. Quand je parle de changer la relation du maître à l’élève, celle du prêtre au laïc, c’est en la transposant dans une paternité à l’image de la paternité divine. Moi, je dois diminuer pour que le Christ grandisse, et je fais cela avec les élèves. Cette volonté d’accomplir non pas une vision philosophique, non pas une vision éducative, mais véritablement d’introduire entre nous la vie chrétienne de l’Evangile explique mon influence sur eux. Alors l’Evangile devient libérateur pour tous. La rencontre prend une dimension authentique. Notre réussite n’est pas celle d’une méthode : je n’en ai pas. S’il y a une spécificité à ma démarche, c’est quelque chose de difficile et de personnel. Pour moi, tout mon travail devient prière, pensée, méditation, divinisation de l’histoire. Ce n’est pas simplement une tâche réalisée dans le temps, mais la preuve que l’Evangile peut être vécu. La preuve de ma vie de chrétien. Aimer tous ces jeunes, leur apporter la dimension du pardon, aimer ceux qui me sont différends et pardonner à mes ennemis, bénir les gens qui me persécutent : tous ces actes sont la preuve, pour moi, que, concrètement, Dieu s’est incarné ».