Unités spéciales
Voyant les foules, il eut pitié d’elles parce qu’elles étaient fatiguées et abattues comme des brebis sans berger. Il dit alors à ses disciples : « La moisson est abondante, et les ouvriers sont peu nombreux. Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson. » Alors Jésus appela ses douze disciples et leur donna le pouvoir d’expulser les esprits mauvais et de guérir toute maladie et toute infirmité. Voici les noms des douze Apôtres : le premier, Simon, appelé Pierre ; André son frère ; Jacques, fils de Zébédée, et Jean son frère ; Philippe et Barthélemy ; Thomas et Matthieu le publicain ; Jacques, fils d’Alphée, et Thaddée ; Simon le Zélote et Judas Iscariote, celui-là même qui le livra. Ces douze, Jésus les envoya en mission avec les instructions suivantes : « N’allez pas chez les païens et n’entrez dans aucune ville des Samaritains. Allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d’Israël. Sur votre route, proclamez que le Royaume des cieux est tout proche. Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, chassez les démons. Vous avez reçu gratuitement : donnez gratuitement.
Commentaire :
La compassion, source profonde du ministère de Jésus et de ses Apôtres devant l’étendue des besoins. Mais quelle disproportion entre la grandeur de la tâche apostolique et le petit nombre des ouvriers ! Ainsi l’évangéliste Matthieu introduit-il le deuxième des cinq grands discours qui structurent son évangile : ce « Discours de mission » occupe tout ce chapitre 10e et révèle les consignes de Jésus aux Douze. Les missions de Jésus et des Apôtres ne seront pas différentes, la seconde ne fera que prolonger la première ; ce que Jésus a accompli seul jusqu’ici, il veut maintenant le faire avec l’association des Douze. Le thème de la prédication demeurera le même : « le Royaume des cieux est proche » (10,7). Jésus guérissait toutes maladies et langueurs, les Apôtres partageront le même pouvoir. La compassion de Jésus pour les brebis sans pasteur doit animer toute activité missionnaire. En somme, une seule mission : « Comme mon Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie » (Jn.10,21).
Mais cette mission ne concerne-t-elle que les Douze (Lc.9,1-5) ? Luc parlera d’une mission confiée à soixante-douze disciples (Lc10,1-20). Beaucoup d’autres seront associés à ces travaux comme Paul, en témoigne dans son activité. La liste des charismatiques en fait preuve ( Ep. 4,11 ; 2 Tim. 4,5). Les Douze ont imposé les mains à des collaborateurs (Ac. 6,6) et choisi des successeurs pour les travaux missionnaires. L’Apôtre des Nations a voulu lui-même s’associer Tite et Timothée. Matthieu fournit donc ici à tout missionnaire comme un bréviaire, une sorte de vade mecum, un coutumier dont il devra s’inspirer.
Les exigences concernant les activités missionnaire de Jésus telles que décrites par Matthieu ne concernent donc pas seulement les Douze et autres envoyés d’avant Pâques, mais non moins les missionnaires d’après Pâques, toute l’Église apostolique jusqu’à la fin des temps. L’action déployée par Jésus sera désormais endossée par celle-ci jusqu’à la fin des temps. Par des guérisons de toute sorte, l’Église post-chrétienne réalise sous l’emprise d’une compassion très humaine et combien divine le salut promis à l’homme en son entier tout en apposant comme un sceau divin à la prédication de l’évangile du Royaume. L’Église de ce temps ne peut donc pas séparer la prédication évangélique de la sollicitude active pour tous ceux qui souffrent. Cette qualité de présence sera le signe de la vérité du message.
C’est toute la tendresse du Pasteur qui s’exprime en ces mots : « Voyant les foules, il eut pitié d’elles parce qu’elles étaient comme des brebis sans pasteur ». Jésus lance alors un appel aux moissonneurs. La compassion du Seigneur demeure pour Matthieu la source de toute la mission de l’Église. Les missionnaires pourraient-ils manifester cette compassion sans la partager du plus profond de leur cœur. Compassion, un sentiment très fort, émotion qui vous prend aux entrailles. Elle incarne dans le cœur de Jésus la passion de Dieu : Dieu de tendresse et de pitié ( Ex.34,6 ; Ps.103,8-14 ; Jr. 31,20 ; Os. 2,25, Is. 54,7). Jésus, de fait, n’ignorait point l’intériorité humaine, son péché, ses faiblesses, son ignorance, bref, ses maladies.
En situation présente, la compassion de Jésus et son envoi des Douze sont motivés par l’ignorance religieuse des foules et leurs maladies. Cette foule est privée de pasteurs, de chefs, élus infidèles à leur vocation, exploiteurs éhontés du troupeau (Jr. 23,1+ ; Ez. 34,1-10 ; Za. 11,4-17). Tels étaient les Sadducéens, responsables de sa mort, et les Pharisiens qui l’accusaient de chasser les démons par le Prince des démons. Guides aveugles qui égarent les foules avec levain de leur fausse doctrine (16,12) et cherchent à les soulever contre l’Envoyé de Dieu !
Les Douze constitueront donc l’équipe de première heure ; les Soixante-douze seront comme un renfort, mais tant d’autres sont toujours attendus pour la moisson. N’est-ce pas l’appel lancé à tout baptisé ? Aussi sommes-nous invités à prier à cette fin. (Mt. 4,18-22 ; 19,16-29 ; 8,18-22 ; Jn. 1,35-51) La mission ne peut être réservée à quelques « unités spéciales », elle est l’affaire de toute l’Église, corps missionnaire du Christ.