Je ne suis pas un inconditionnel d’Amélie Nothomb, quoique j’ai apprécié certains de ses premiers romans, comme « Stupeurs et Tremblements, uneœuvre inspirée par les mœurs du pays du Soleil Levant où son père était diplomate. J’avais découvert le style alerte d’une jeune auteure belge dont la fraîcheur m’avait alors séduit. J’avoue ne pas avoir prêté trop d’attention à ses autres productions, à mon goût trop prolifiques et commerciales. Mais alors, son dernier roman, Soif, paru en août de cette année chez Albin-Michel, que j’ai découvert par hasard sur la devanture d’un libraire ! Il m’a suffi de l’ouvrir, au hasard un fois encore, pour me convaincre de le lire. Le nom de Jésus figurait presque à chaque page. Que pouvait donc en dire cette Amélie qui fit ses classes dans une institution catholique après tant d’années de célébrité éditoriale ?
Nous savions déjà que la personne de Jésus n’inspire pas seulement ceux qui s’affirment chrétiens ou qui essayent de faire honneur à ce nom, mais aussi les exégètes et les historiens, quelles que soient leurs convictions philosophiques ou religieuses. En francophonie, deux nouvelles études de ce genre ont paru ces derniers mois : « Vie et destin de Jésus de Nazareth » de Daniel Marguerat et le « Jésus » de Jean-Christian Petitfils. Deux ouvrages remarquables, même si leurs conclusions ne convergent pas. Au cours de la même période, j’ai lu aussi avec intérêt le « Selon saint Marc », un essai de Sandro Veronese, diplômé d’architecture de l’université de Florence, qui se pose la même question que les Romains du premier siècle posaient au rédacteur du deuxième évangile:« Mais qui donc est cet homme ? » Pourquoi donc s’étonner qu’une romancière du nom d’Amélie Nothomb se lance à son tour dans cette recherche?
Remarquons tout d’abord que l’auteure nous prévient – sur la première page de couverture – que son ouvrage est un « roman ». Donc une libre composition de la vie de Jésus, astucieusement concentrée autours de ses derniers moments et même dans un au-delà posthume que l’auteure se refuse pourtant d’appeler résurrection. Est-ce bien le Jésus de l’histoire ou celui des évangiles dont il est question dans ce récit, ou la romancière se construit un Jésus conforme à ses propres désirs ? Un Jésus qu’elle découvre à travers le prisme de sa sensibilité féminine fine et acérée. Un Jésus tel qu’une femme de son temps l’aurait rêvé et aimé. Evidemment, Amélie fait ses choix et traite les sources à sa convenance. Elle n’hésite pas à s’en écarter pour faire droit, par exemple, à la scène de la pietà ignorée des Ecritures.
J’ai aimé ce livre peu « orthodoxe », mais non dépourvu de sincérité. Assez éloigné des textes « canoniques » qui reflètent en style hiératique la foi de l’Eglise primitive. Un essai distant aussi des travaux érudits d’historiens prétendus objectifs, alors qu’en vérité ils ne le sont guère. Enfin, un récit moins prétentieux que les soi-disant « révélations » de pieuses personnes présentant comme authentiques des scènes de la passion reconstruites selon leur imaginaire. Mais un Jésus selon Amélie. Un Jésus qui s’emploie davantage à éclairer le mystère de l’écrivaine qu’à nous faire pénétrer dans le sien. De là, le charme et la grâce de ce roman.