De nouvelles routes
Quand Jésus vit la foule, il gravit la montagne. Il s’assit, et ses disciples s’approchèrent. Alors, ouvrant la bouche, il se mit à les instruire. Il disait : Heureux les pauvres de cœur : le Royaume des cieux est à eux ! Heureux les doux : ils obtiendront la terre promise ! Heureux ceux qui pleurent : ils seront consolés !. Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice : ils seront rassasiés ! Heureux les miséricordieux : ils obtiendront miséricorde ! Heureux les cœurs purs : ils verront Dieu ! Heureux les artisans de paix : ils seront appelés fils de Dieu ! Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice : le Royaume des cieux est à eux ! Heureux serez-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi. Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense sera grande dans les cieux ! C’est ainsi qu’on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés.
Commentaire :
Il m’est arrivé quelquefois de sentir très profondément ce renversement de valeurs, cette sagesse divine, ce langage divin, folie ou idiotie aux yeux des hommes. Je l’ai senti devant certaines personnes blessées dans leur être… Le mystère de cette terre : tout est à l’envers, les normaux sont des anormaux et les anormaux sont des normaux, les riches sont pauvres et les pauvres sont riches. C’est ce mystère qui est exprimé dans le Béatitudes car celles-ci annoncent tout ce que nous ne voudrions pas être alors que les malédictions annoncent ce que toute une partie de notre être désire. » (Jean Vanier « Ouvre mes bras » Paris 1973)
Qui peut imaginer, à l’écoute ou la lecture des ces Béatitudes, les protestations, les sarcasmes et les révoltes dont elles sont à l’origine ? « À qui profite cette religion ? » lançait Kant ? « Tout n’est que masochisme ? » affirmait Freud : « Les opprimés peuvent se consoler du malheur présent dans l’espérance d’une récompense dans l’au-delà ». Aucune philosophie ou façon humaine de penser ne peut comprendre le sens immédiat de ces sources de bonheur. L’ambiguïté réside dans la réalité quotidienne que ces mots désignent. Ces Béatitudes ne signifieront absolument rien si nul ne peut les illustrer d’exemples contemporains capables de leur donner vie et de les protéger de fausses interprétations.
Avant out, gardons-nous bien d’isoler les Béatitudes les unes des autres ; chacune et toutes ensemble, elles peignent le vivant portrait du peuple de Dieu. Elles ne décrivent pas une situation sociale, mais l’image d’un groupe qui fait confiance à la parole de Dieu et lui reste fidèle au milieu des épreuves. Elles décrivent la réalité d’un peuple qui cherche la justice et la paix avec passion, une faim et soif que rien n’apaise, peuple de pauvres, le regard fixé à l’avant, porté par l’espérance et fidèle à Dieu en qui il place sa confiance.
Les béatitudes décrivent le vide creusé par Dieu quand on décide de Le suivre en Jésus Christ, son Fils, lui qui « s’est pauvre pour nous enrichir de sa pauvreté » (2 Co. 8 :9). Il ne s’est pas construit de murs pour vivre à leur ombre en toute sécurité et se protéger des autres, que ces abris s’appellent bonne réputation, complicité avec le pouvoir. Seule la gloire de son Père lui ouvre le chemin de vie et sa volonté le guide. Ses persécuteurs rencontrent en lui douceur et miséricorde. La paix et le pardon constituent ses seuls objectifs. C’est en lui seul que nous pouvons découvrir dans une lumière trop éblouissante pour des regards humains le vrai visage du pauvre béatifié par toutes les béatitudes.
Ce bonheur promis à ce pauvre dans les pas de Jésus n’est nul autre que Dieu : « Ils verront Dieu, ils seront appelés fils de Dieu…» Dieu donné en partage. Aucune jouissance terrestre ne peut apaiser la soif d’un bonheur comme celui promis dans ces béatitudes. Le poursuivre demande un courage à toute épreuve, car il s’agit de rien de moins que de sauver l’humanité en détresse. Les Béatitudes constituent l’essence même de notre foi, de notre acte de foi. Elles décrivent l’expérience quotidienne que nous pouvons faire chaque fois que notre avenir ne se trouve ailleurs qu’en Dieu. Tel est le tracé de nouvelles routes que nous ont débroussaillées par tant des nôtres, pas nécessairement béatifiés ou canonisés, mais partis à la recherche du bonheur à la suite de Jésus sur le chemin inusité de la pauvreté et de l’amour.