Un pont relie Longueuil à l’île de Montréal, le Pont Jacques-Cartier. Il célèbre, cette année, son soixante-quinzième anniversaire. Soixante-quinze ans de va-et-vient d’une rive à l’autre. Soixante-quinze ans d’échanges, d’alliances. Soixante-quinze ans de visites et de rencontres.
Au point de départ, on parlait du pont de la Rive-Sud. Puis, il fut désigné en 1930: Pont du Havre. C’est en 1934 qu’on lui a donné son nom actuel, en l’honneur du grand explorateur, le malouin Jacques Cartier. On voulait ainsi souligner le quatre-centième anniversaire de la découverte du Canada. Un tel nom proposait tout un programme à ce pont: favoriser les communications entre les deux villes, entre Montréal, la Rive Sud et au-delà, jusqu’à Gaspé et les provinces maritimes, jusqu’en Estrie et aux ةtats-Unis. Une entrée sur le reste du monde, pour ainsi dire! Ceux et celles qui emprunteraient cette voie pouvaient aller d’exploration en exploration, de découverte en découverte.
Que s’est-il passé sur le pont Jacques-Cartier depuis soixante-quinze ans? Je n’en connais pas la grande histoire. Mais j’imagine la petite, l’histoire quotidienne des petits et grands bonheurs que ce pont a pu faire naître, favoriser ou, du moins, connaître. Combien de jeunes montréalais ont traversé à Longueuil pour aller *voir les filles+, comme on dit encore au Québec? Combien de longueuillois sont venus sur l’île pour leurs emplettes hebdomadaires? Combien ont profité du pont pour courir auprès d’un enfant ou d’une fiancée? Combien se sont déclaré leur amour ou même se sont demandé en mariage entre les deux rives? Un pont, ça relie, ça fait des alliances!…
Le Pont Jacques-Cartier a aussi ses heures sombres. Comme toute voie de transport, il a connu et connaît encore des accidents. Les ambulanciers doivent souvent s’y rendre pour recueillir des blessés, parfois des mourants. Accidents, mais aussi assassinats, suicides. La mort laisse sa trace même sur les ponts et celui-ci n’en est pas dispensé. On pleure parfois sur le Jacques-Cartier. Ce pont a été construit pour favoriser les rencontres et les communications, mais il est parfois le lieu des ruptures et des divisions. Engueulades d’automobilistes impatients. Accrochages par distraction. Excès de vitesse qui conduisent à des tamponnements.
En soixante-quinze ans, le Pont Jacques-Cartier a été le théâtre de milliers de heurts et de malheurs comme toutes les routes et les lieux de passage. Mais il demeure surtout le symbole des rencontres et des alliances. Imposant, massif, solide, il appelle au partage, à l’échange, à la communication, à la communion. Rien de moins. Il invite à transformer la vie en de multiples ponts pour des rapprochements, des amitiés, des amours, des réconciliations. Il invite à tisser des liens, à ouvrir des passages, à tracer des carrefours pour des croisements et de bonnes relations.
Un pont, c’est presque une religion puisque ça relie. Peut-être que Dieu emprunte le pont pour établir ses propres rencontres, pour tracer ses chemins vers nous, pour offrir ses alliances. N’a-t-il pas été le premier à jeter des ponts entre son mystère et le nôtre? N’a-t-il pas été le premier à les emprunter pour se révéler à nous? Un psaume l’affirme: *Dans la mer tu fis ton chemin, ton passage dans les eaux profondes+ (77, 20).
Cher Pont Jacques-Cartier, continue de nous offrir ton hospitalité. Accompagne-nous dans nos allées et venues, d’une rive à l’autre. Permets-nous de construire des alliances. Favorise notre quête de paix et de partage. Hommage à toi et à tous les ponts de la planète…