« Au pays de l’or noir », Tintin et le Capitaine Haddock, la tête couverte d’un mouchoir attaché aux quatre coins, errent dans le désert sous un soleil de plomb. Haddock ne cesse de se répéter, à la manière d’une condamnation : Le pays de la soif ! Le pays de la soif ! Tel est bien, en effet, le désert, qu’il soit de roche comme au Sahara ou de pierre comme en Arabie. J’aurais envie de leur opposer deux autres personnages, également égarés dans le désert et que menace la raréfaction de l’eau. Je pense à l’aviateur et à son mystérieux petit prince. Dans une scène très douce, Saint-Exupéry fait dire au petit prince, comme s’il s’agissait de la chose la plus naturelle du monde : Le désert est beau. Ce qui embellit le désert, c’est qu’il cache un puits quelque part. En écho, les Québécois entendent leur poète chanter : C’est grand, la mort, c’est plein de vie dedans (Félix Leclerc).
Toutes les traditions spirituelles accordent une place privilégiée à l’image du désert. Le désert apparaît comme un lieu de vérité : un espace où l’humain est dépouillé de tout artifice et où il n’y a de place que pour l’essentiel. Ce n’est pas sans raison que les évangélistes situent au désert le discernement de Jésus et les choix fondamentaux qui ont donné cohérence à sa vie.
Il y a dans toute existence des moments qui poussent au désert. Des périodes qui d’une manière impitoyable dépouillent des masques, des illusions, des certitudes et des sécurités. Ce sont des rendez-vous avec notre radicale vulnérabilité. Avec notre incommensurable solitude. Ces moments sont le lieu premier de la recherche spirituelle. Car ce sont des temps d’insatisfaction. De soif. De manque. De désir.
Le désir de ce qui compte vraiment. De ce qui importe plus que tout. De l’essentiel.
La tradition juive, méditant sur son héritage religieux, nous a laissé à ce propos une image d’une extraordinaire puissance évocatrice et symbolique. Méditant les récits consignés dans les livres bibliques de l’Exode et des Nombres où sont transmises les traditions sur le séjour des Israélites au désert, elle parle du Dieu du désert comme du Rocher qui sauve (Psaume 95 1). Un Rocher bien étrange. Quoi de plus aride, de plus inerte et immobile qu’un rocher ? Et pourtant ce rocher-là donne de l’eau à boire et se déplace avec le peuple dans son errance ! Moise avait frappé le rocher de son bâton et l’eau avait jailli pour désaltérer le peuple assoiffé. Et voilà que pour les rabbins, le rocher se fait geyser : Les princes d’Israël l’entouraient de leur bâton et disaient le cantique « Monte, source! » et elle leur répondait en jaillissant en haut comme une colonne (Tosephta Sukkot 3,11). Et voilà que pour les commentateurs anciens, le désert devient inondé : Dans le désert, le puits leur fut donné en présent. et après que le puits leur ait été donné en présent, il devint pour eux torrents débordants. Et après qu’il fut devenu torrents débordants, il advint qu’il monta avec eux au sommet des montagnes et qu’il descendit avec eux au creux des vallées (Targum de Nombres 21 16-20).
Paul fait écho à ces traditions quand il écrit aux premiers chrétiens de la ville grecque de Corinthe : Nos Pères burent un même breuvage spirituel, car ils buvaient à un rocher spirituel qui les suivait. Mais il ajoute avec une extrême audace : Ce rocher, c’était le Christ (1 Corinthiens 10 4).
Notre recherche spirituelle a la couleur de nos déserts. La vie, nous le savons, est rude et difficile, ce que nous nous ingénions à oublier. Heureux sommes-nous lorsque nous laissons monter en nous la soif. Nous pouvons apprendre que la vie est belle et que ce qui l’embellit, c’est qu’elle cache un puits. Quelque part. Non pas une citerne lézardée qui ne retient pas l’eau, mais le puits qui donne accès à l’eau vive (Jérémie 1 13; Jean 4 10). Voilà ce qu’est le Christ pour ceux qui l’ont trouvé : Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi ! Qu’il boive ! Si quelqu’un boit de l’eau que je lui donnerai, il n’aura plus jamais soif ! (Jean 7 37; 4 14) Ce rocher-puits qui donne à boire les accompagnera fidèlement partout où ils iront, dans les hauts et dans les creux de leurs vies.