Pitié pour moi, Yahvé, vois mon malheur (Ps 9,14)
Seigneur, vois mon malheur et ma peine (Ps 25,18)
Je me plains et frémis (Ps 55,18)
Mon œil est usé par le malheur (Ps 88,10)
Je déverse devant lui ma plainte (Ps 142,3)
Ils sont nombreux les psaumes où des croyants crient leur malheur. Souffrance., maladie, échec, incompréhension, angoisse, insécurité, péché : tout y passe du visage multiforme de la misère et de l’épreuve humaines.
Cependant, il ne faut pas l’oublier, le psautier s’ouvre par une proclamation de bonheur : Heureux est l’homme, celui-là… (Ps 1,1). Et il est au moins un psaume dans lequel, d’un bout à l’autre, un croyant ne fait que chanter son bonheur, ne parlant que de joie , de plaisir ou de délices , pour lesquels il bénit son Dieu.
Garde-moi, ô Dieu, mon refuge est en toi : le psaume 16 (15, dans la numérotation liturgique) est tout entier concentré dans cette formule initiale, car la suite ne fait qu’en expliciter en ordre inverse les deux membres.
Mon refuge est en toi
Cette part de l’affirmation est développée dans la première partie du psaume (versets 2-6). Là, il est question de l’engagement du croyant à l’égard de Yahvé.
Cet engagement s’est traduit à travers une option ferme et durable : J’ai dit au Seigneur : ‘C’est toi mon bonheur’ (v. 2). Et cette option l’a emporté sur d’autres qui se présentaient et qui continuent d’ailleurs d’en séduire plus d’un dans l’environnement du croyant. Au lieu de céder à des cultes étrangers, au lieu d’accrocher sa vie à des idoles multiples et changeantes (vv. 3-4), voici quelqu’un qui, dans un idéal de totalité et de permanence, a mis tous ses œufs dans le même panier, ouvrant sa vie au Dieu unique et faisant de la référence à lui une valeur absolue.
Et c’est dans cette option durable, précisément, qu’il trouve le bonheur. Sa relation à Dieu s’est approfondie et lui est devenue précieuse comme un domaine dont on a hérité, comme une bonne terre que la corde de l’arpenteur a délimitée pour soi, où l’on aime à se réfugier et où l’on se sent en sécurité (vv. 5-6). On croit déjà entendre la sérénité confiante de Paul : Je sais en qui j’ai mis ma foi (2 Tim 1,12).
Garde-moi, ô Dieu
Après l’engagement du croyant envers Dieu, voilà que la deuxième partie du psaume (vv. 7-11) parle de l’engagement de Dieu envers le croyant. A l’option posée par ce dernier, répondra la protection de Dieu. Et, de même que son option se veut durable, la protection de son Dieu, il en est assuré, le sera aussi.
Cette présence durable de Dieu, le priant du psaume est sûr d’en bénéficier dès maintenant : Je garde le Seigneur devant moi sans relâche. Puisqu’il est à ma droite, je ne puis chanceler (v. 8). Mais sa certitude ne s’arrête pas là. Il compte encore sur la protection de Dieu pour l’avenir : Tu n’abandonneras pas mon âme au shéol, tu ne laissera pas ton ami voir la tombe . (v. 10). Que veut-il dire exactement? Sans doute, dans la perspective plus primitive de la foi d’Israël, exprime-t-il l’espoir que Dieu lui accordera santé et longue vie, qu’il le préservera d’une mort prématurée.
Il n’est pas un Dieu des morts mais des vivants
Si telle était originellement l’attente du psalmiste, d’autres croyants ne tarderont pas à emprunter sa prière en y coulant une espérance plus ample.
Il faut dire que le psaume lui-même y prêtait. Tout se passe en effet comme si, déjà, en finale, la perspective s’y élargissait et comme si le croyant envisageait les horizons d’une vie vécue pour de bon dans la communion à Dieu : Tu m’apprendras le chemin de vie, devant ta face plénitude de joie, à ta droite délices sans fin (v. 11).
Toujours est-il que, lorsque viendra pour elle le temps de traduire le psaume en grec, la communauté juive témoignera d’une lecture approfondie . Et c’est ainsi qu’au verset 10, on rendra tu ne laisseras pas ton ami voir la fosse par tu ne laisseras pas ton ami voir la corruption . La protection de Dieu, dès lors, ne consistait plus seulement à préserver d’une mort prématurée, mais à tirer quelqu’un de la corruption du tombeau. Et c’est ainsi compris que, tout naturellement, après Pâques, les premiers chrétiens appliqueront à la résurrection de Jésus le passage du psaume, comme en témoignent le discours de Pierre à la Pentecôte (Ac 2,31) et celui de Paul à la synagogue d’Antioche de Pisidie (Ac 13,35). Tiré de la corruption du tombeau et exalté à la droite de Dieu, le Ressuscité partageait désormais la plénitude de la communion à lui.
Puisque j’ai mis en Dieu mon refuge, Dieu me protégera : telle était, pour l’essentiel, la certitude exprimée dans le psaume 16. Il me protégera, à la vie à la mort , comprendront plus tard des croyants juifs, puis chrétiens. Car si Dieu est le Dieu de quelqu’un, se dira-t-on, il ne peut l’être que pour de bon, la mort elle-même ne saurait briser la relation à lui.
Cette vision-là paraît avoir été celle de Jésus lui-même, comme en témoigne la réponse qu’il fit un jour à un groupe de sadducéens mettant en doute l’espérance de la résurrection des morts (Mc 12,26-27). Dieu, protestera-t-il, n’est pas un Dieu des morts mais un Dieu des vivants . Le psaume , dès lors, avait trouvé sa pleine portée : C’est toi mon bonheur. Tu m’apprendras le chemin de vie…