Les prophètes de la Bible vivent dans des périodes troublées. Leur présent est brumeux, leur avenir plutôt sombre. Et pourtant ils ne se gênent pas pour rêver, et rêver en couleur. Surtout Isaïe qui se plaît à dépeindre le paysage d’un paradis impossible. Les contraires s’harmonisent dans ses envolées fiévreuses. Les ennemis se promènent la main dans la main. Comme il est beau de voir l’agneau et le loup dans le même gîte, le léopard allongé près du chevreau, le veau et le lionceau devant la même mangeoire, le petit enfant qui s’amuse avec le serpent. Un tableau d’une grande naïveté, exempte de tout danger.
Ne nous arrive-t-il pas à nous aussi de céder à la rêverie, de nous abandonner au doux plaisir de l’utopie. Nous imaginons un jour où tout serait parfait. Un homme et une femme se marieraient avec la certitude de célébrer leurs noces de diamants. Et des noces de bonheur nécessairement! Tous les étudiants et étudiantes trouveraient un emploi en fin d’études, un emploi taillé sur mesure pour eux. Pas un gouvernement ne se mettrait les pieds dans les plats: tout serait accompli avec la plus stricte justice. Plus besoin de purge ou de limogeage. La confiance mutuelle à cause de la transparence de nos rapports et de nos transactions. Les Hell’s Angels prendraient leurs vacances en compagnie des Rock Machine. Les Hutus et les Tutsis traverseraient leur pays ensemble sans méfiance les uns des autres. Juifs et Palestiniens s’embrasseraient passionnément. Les mitraillettes et les chars d’assaut rouilleraient, abandonnés dans un champ de ferraille. Les policiers s’ennuieraient sans appel à l’aide. Les juges occuperaient leur temps à lire les pages du sport ou à faire des mots croisés. En plein milieu d’après-midi, tout le monde s’arrêterait un instant, le temps de goûter doucement au bonheur!…
Stop! Stop! Stop! La raison n’en peut plus devant autant de fantaisie! Elle supplie qu’on revienne à la réalité. La dure! La planète se déchire. Les humains se tirent dessus. La nature se détériore. Les faits sont implacables. Les chiffres parlent fort.
C’est vrai que tout n’est pas rose! C’est vrai qu’un peu de raison pourraient ralentir les passions belliqueuses des terriens. Mais le rêve aussi peut faire beaucoup. Sans l’imagination, Marconi n’aurait jamais inventé la radio qui fête son centenaire cette semaine. Sans le rêve (I have a dream…), Martin Luther King n’aurait jamais combattu jusqu’au bout pour les droits de la personne. Sans la folle sagesse de la non-violence, Gandhi ne serait jamais devenu le défenseur de la justice qu’on a reconnu en lui.
Les plus belles réalisations de l’humanité ont commencé par un rêve. Et bien souvent, ils ont été portées tout au long de leur existence par ce même rêve. Pour changer des choses, il faut échafauder des plans différents. Il faut avoir le goût de vivre différemment. Il faut oser essayer du neuf.
La morosité a fait son nid dans bien des cerveaux sur cette terre. Nous avons tendance à marier pessimisme et réalisme, comme si l’optimisme devait être banni. Les raisonneurs calculent et, parce qu’ils calculent, ils font autorité. Mais n’avons-nous pas besoin aussi d’un peu de folie? N’est-ce pas ce que nous dit la grande vogue qui entoure les aventures d’Harry Potter au pays du merveilleux? N’est-ce pas ce que nous crie depuis des millénaires les prophètes et les poètes quand ils nous invitent à une espérance créatrice?