Vous êtes partie trop rapidement l’autre jour. J’aurais tant voulu vous aider, ou du moins vous rassurer.
Je vous revois encore sur le coin de la chaise dans ce petit parloir dépouillé. Vous me paraissiez désarmée comme au bout d’un laborieux combat à jamais perdu. Vous étiez abandonnée à votre désespoir. Il ne restait plus qu’une carte dans votre jeu: rencontrer un prêtre et lui faire part de votre désarroi. Vous êtes tombée sur moi. Un autre aurait mieux fait l’affaire, mais… Les circonstances ont permis que je me trouve là. Et je vous ai écoutée me raconter votre problème.
Vous cherchez la foi. Vous êtes une femme heureuse. Vous êtes amoureuse et votre conjoint vous aime. Vous réussissez bien tout ce que vous faites: vos études, vos projets, votre travail. Vous avez tout ce qu’il faut. Mais le sens de tout cela vous échappe; le sens de votre vie vous reste caché. Vous cherchez. Vous voulez croire. Vous avez besoin de croire. Les yeux pleins d’eau, d’un papier-mouchoir à l’autre, vous me suppliiez de vous donner la foi.
Malheureusement, je ne pouvais pas réaliser votre précieux rêve. Ni moi, ni vous, ni personne. La foi est un don de Dieu, un cadeau de sa part. Pourquoi vous n’en êtes pas favorisée? Pourquoi j’ai cette chance, cette grâce? Quels sont les critères de Dieu pour donner ou ne pas donner? Je n’en sais rien, absolument rien. Sauf que je ne peux me mettre dans la tête qu’il puisse refuser cette faveur à quiconque le lui demande. Si, selon une parabole de Jésus, un juge inique finit par céder devant une femme entêtée, à plus forte raison Dieu, le très bon, le très miséricordieux, fera-t-il justice à ses élus, qui crient vers lui jour et nuit (Luc 18, 7)
Vous avez besoin de croire. Or, Dieu ne se présente pas comme une solution à un besoin. Je vais dire une énormité: Dieu est inutile! Oui, inutile! Mon long cheminement de croyant m’a conduit à cette dure réalité: Dieu est inutile! Dieu ne sert à rien! Et ma relation avec lui s’est dégagée progressivement de tout caractère de nécessité ou de convenance ou de vraisemblance. Lentement, durement, péniblement, j’apprends à vivre ma foi… pour rien! Gratuitement! Imaginez: l’essentiel est inutile! L’essentiel est gratuit, pure gratuité! Dans une culture où règne l’efficacité, dans un monde tout entier plongé dans la rentabilité, le plus important se trouve du côté de la gratuité.
Vos études en sciences économiques vous ont appris à chercher des preuves. Et vous auriez aimé que je vous démontre Dieu. Mais Dieu ne se prouve pas. Et même si j’arrivais à faire la preuve de l’existence de Dieu, cela ne vous donnerait pas la foi. La foi ne découle pas d’une connaissance intellectuelle. Elle ne vient pas au terme d’un raisonnement. Elle peut en être le point de départ, mais jamais l’arrivée. La foi est un saut dans l’inconnu, dans le vide avec tout ce que cela comporte de risque et d’incertitude. La foi est un doute, un gros doute. La foi ne répond pas, elle ne rassure pas. La foi questionne, la foi fait chercher, la foi met en marche. La Lettre aux Hébreux dit de Moïse qu’il tint ferme, comme s’il voyait Celui qui est invisible (11, 27) Moïse ne voyait pas, il croyait seulement.
Je vous souhaite de risquer. Tenez-vous debout dans votre nuit. La nuit ne conteste pas l’existence de Dieu, elle ne fait que le cacher. Elle ne nie pas, elle se contente de nous inviter à nous mettre en recherche. Entêtez-vous! Soyez têtue! C’est par votre persévérance que vous obtiendrez la vie. C’est Jésus lui-même qui le dit (Luc 21, 19)!
Je prie Dieu de vous donner la foi comme je le prie de me garder dans la foi. Comme disait Jeanne d’Arc durant son procès: Si j’y suis, que Dieu m’y garde! Si je n’y suis pas, que Dieu m’y mette! Il n’y a pas d’autre solution que de s’en remettre à lui…