Ce qui est le plus mystérieux sur la terre, c’est le mal. Le bien peut parfois nous étonner, mais le mal le surpasse en étonnement. Le bien nous va tellement bien que nous l’accueillons tout naturellement. Mais chaque fois que nous voyons apparaître le mal, nous sentons un malaise nous envahir, parfois de la crainte, souvent de l’angoisse. Nous avons l’impression que le mal peut nous détruire ou du moins nous choisir comme sa victime.
Le coeur se serre dans notre poitrine quand nous voyons un malade en phase terminale. Des images de massacre nous remuent parfois profondément. Nous nous indignons en entendant la nouvelle d’un assassinat. Nous sommes très bouleversés quand les victimes du mal sont des enfants ou des faibles. Des innocents à qui on ne peut rien reprocher subissent des sévices ou attrapent des maladies qui les font terriblement souffrir.
Ce qui est le plus pénible, c’est de ne pas comprendre. Souvent, le mal arrive sans crier gare. Il blesse sans s’expliquer. Nous aimerions comprendre. Nous n’avons que des pourquoi à la bouche et dans la tête, des pourquoi qui ne reçoivent pas de réponse. C’est la plus grande souffrance. Avoir l’impression que le mal n’a pas de sens, qu’il frappe aveuglément.
Dans les pires moments, le malade ou la victime se demande si Dieu existe vraiment et, s’il existe, pourquoi il n’intervient pas. Un jour, dans un camp de concentration, des prisonniers avançaient à la file indienne vers le four crématoire. D’autres prisonniers regardaient le spectacle dans un silence déchirant. Soudain une voix s’est écriée: «Mais où est Dieu?» L’écrivain juif, Élie Wiesel, qui raconte le fait dans un de ses ouvrages, ajouta: «Dieu, mais il rentrait au four crématoire!»
Oui, Dieu souffre quand un être humain souffre. Dieu est défiguré quand le mal défigure un être humain. Dieu est blessé quand on s’attaque à des humains. S’attaquer à l’image de Dieu, c’est atteindre Dieu. Dieu n’est pas au-dessus de la mêlée. Dieu n’agit pas dans le bras du bourreau. Dieu est au côté de la victime. Dieu marche avec elle. Dieu partage sa détresse.
Devant le mal, le silence de Dieu n’exprime pas chez lui de l’indifférence. Dieu se tait parce que les mots sont trop pauvres. Les mots sont parfois indécents devant la souffrance et le mal. Seul le silence parvient à dire la compassion, le soutien. Comme lorsque quelqu’un est en train de mourir. Ce n’est pas le moment de faire des discours. Tu prends la main de l’agonisant, tu le touches, et cela vaut mille paroles. Le silence de la compassion, le silence qui accompagne, le silence qui partage.
Dieu respecte ce qui se passe. Dieu est conscient du mystère qui se joue dans la vie d’une personne aux prises avec la souffrance, avec le mal. Et Dieu sait très bien qu’il n’y a que le silence qui peut vraiment accompagner décemment. En toute dignité.