Elle arrive au Centre étudiant une grosse demi-heure avant la messe. Elle doit avoir entre vingt et vingt-cinq ans. Elle me salue. Un grand sourire, mais quelque chose de triste dans ce sourire. Elle tourne en rond dans la pièce. Puis finalement, elle s’adresse à moi: «Est-ce que je peux te parler?» Nous nous réfugions dans un bureau. Elle me dit: «Je viens de passer un examen médical. Peut-être que j’ai un cancer. Je le saurai clairement mardi prochain.» Un grand silence s’installe dans la pièce. Je reçois simplement, sans noyer le message dans un déluge de mots. Après un certain temps, je lui demande: «Tu as peur?» «Terriblement!», qu’elle me répond.
Le mot «cancer» est un mot affreux. Une sorte de mot de passe entre confiance et peur, entre sérénité et inquiétude. On a beau faire des avancées dans ce domaine. Les statistiques ont beau nous dire qu’il y a plusieurs cancers dont on peut guérir. Il reste que cette maladie nous fait peur. «Terriblement!», dit la jeune étudiante.
Est-ce la première fois qu’elle prend conscience de sa fragilité? Est-ce la première fois qu’elle s’aperçoit que la vie a une frontière? Est-ce le premier gros obstacle sur son joyeux chemin de jeune fille insouciante? Peu importe que ce soit la première épreuve ou la centième; personne ne prend à la légère un diagnostic de maladie grave. La panoplie des émotions explose. Le printemps a beau ensoleiller tout ce qu’il traverse, la maladie vous ramène l’hiver, ses vents cinglants, ses tempêtes dangereuses.
Souffrance physique sans doute, mais aussi et surtout souffrance psychologique. L’inquiétude devant l’avenir mystérieux! Le spectre de la douleur, celui de la mort possible! Et la terrible solitude, car le malade est seul à porter ce qu’il vit, seul à vivre avec autant d’intensité la maladie qui s’abat sur lui.
Dans une pièce à côté, une demi-heure avant la messe, la passion est déjà au rendez-vous. Quelque chose qui se dessine en forme de croix comme celle que nous allons célébrer dans quelques minutes. J’ai bien dit «célébrer»! Non pas célébrer la souffrance et la détresse humaine, mais célébrer Dieu qui a porté cette dure condition humaine, Dieu qui n’a pas fermé les yeux, Dieu humain.
Je n’ai pas de discours, même un beau discours plein de justesse, pour cette jeune fille qui pleure devant moi. Les mots ne sont pas toujours les bienvenus. Surtout en ce moment! Je dois être là. C’est tout! Comme Dieu! Dieu qui est pourtant Parole, toute Parole, Verbe fait chair, Dieu a préféré poser un geste quand il s’est agi de la souffrance et de la mort. Dans le silence, un geste qui porte fruit de vie.