La lumière de la Transfiguration annonce celle de Pâques
Et voici qu’environ huit jours après avoir prononcé ces paroles, Jésus prit avec lui Pierre, Jean et Jacques, et il alla sur la montagne pour prier. Pendant qu’il priait, son visage apparut tout autre, ses vêtements devinrent d’une blancheur éclatante. Et deux hommes s’entretenaient avec lui : c’étaient Moïse et Élie, apparus dans la gloire. Ils parlaient de son départ qui allait se réaliser à Jérusalem. Pierre et ses compagnons étaient accablés de sommeil ; mais, se réveillant, ils virent la gloire de Jésus, et les deux hommes à ses côtés. Ces derniers s’en allaient, quand Pierre dit à Jésus : « Maître, il est heureux que nous soyons ici ! Dressons donc trois tentes : une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. » Il ne savait pas ce qu’il disait. Pierre n’avait pas fini de parler, qu’une nuée survint et les couvrit de son ombre ; ils furent saisis de frayeur lorsqu’ils y pénétrèrent. Et, de la nuée, une voix se fit entendre : « Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai choisi, écoutez-le. » Quand la voix eut retenti, on ne vit plus que Jésus seul. Les disciples gardèrent le silence et, de ce qu’ils avaient vu, ils ne dirent rien à personne à ce moment-là.
COMMENTAIRE
Le récit de la Transfiguration du Seigneur peut légitimement déconcerter. Pourquoi cet évangile en ce temps de Carême ? Pour mieux comprendre, regardons un peu le contexte. Luc vient de relater comment Pierre confessa que Jésus est le Messie ; alors, le Nazaréen explique pour la première fois quel sera le chemin qu’il « faut », comme Messie, qu’il emprunte : « Il faut que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu’il soit mis à mort et que, le troisième jour, il ressuscite » (Lc 9,22). Jésus invite ensuite ceux qui veulent le suivre à emprunter le même chemin que lui : « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il renonce à lui-même et prenne sa croix chaque jour et qu’il me suive. » Puis, Jésus annonce que celui qui le suit ne mourra pas « sans avoir vu le Règne de Dieu ».
Vient alors le récit de la Transfiguration auquel fera suite la deuxième annonce de la Passion : « Le Fils de l’homme va être livré aux mains des hommes. » Alors, saint Luc mentionne d’une manière très solennelle que commence la montée vers Jérusalem : « Or, comme étaient accomplis les jours de son enlèvement, il durcit sa face en direction de Jérusalem » (9,51). Il faut comprendre ces paroles ainsi : il prit de manière déterminée la direction de Jérusalem ! Un lien étroit existe donc entre Transfiguration et Mystère pascal. La montagne évoque celle du Sinaï : cela nous l’est suggéré par la présence de Moïse et d’Élie avec qui Jésus parle de son « départ » pour Jérusalem, plus exactement de son « exode ». La gloire qui se révèle sur la montagne de la Transfiguration est donc une anticipation de celle de Pâque ! Sur cette montagne, Dieu lui-même parle dans la nuée, comme autrefois il parla à Moïse sur la montagne, également dans la nuée.
La voix qui se fait entendre dans cette nuée dit : « Celui-ci est mon Fils, mon Élu, Écoutez-le. » C’est toute notre foi chrétienne qui est résumée dans cette parole de révélation entendue dans un cadre très évocateur : Jésus apparaît ici comme un nouveau Moïse dont la mission est conduire le peuple des croyants dans un nouvel Exode : il s’agit de passer de la mort à la vie, ce qui doit avoir lieu à Jérusalem ! Jésus est la nouvelle Loi donnée aux hommes par Dieu sur la montagne, c’est lui désormais qu’il convient d’écouter et de suivre ! Jésus est enfin et surtout le Fils, l’Élu, le bien-aimé déjà révélé au baptême : cette dernière désignation qui vient de la bouche même de Dieu est comme le sceau définitif apposé à la Révélation sur la Montagne.
Notre foi est résumée sous la forme d’un appel à suivre et à écouter Jésus. Il ne s’agit nullement ici d’une invitation à demeurer à l’écart pour le contempler dans la lumière de la gloire divine qui l’habite. Il n’est pas question pour les apôtres de faire une expérience spirituelle ou mystique réservée à des privilégiés. Ceux qui ont été choisis pour être sur la montagne étaient épuisés, accablés de sommeil ! Il s’agit bien plutôt de reconnaître cette gloire divine du Ressuscité déjà présente dans l’homme qui choisit d’emprunter le chemin qui va à Jérusalem, le chemin de l’Exode vers la Pâque. Le choix de cet itinéraire vers Jérusalem, Jésus ne le fait pas au hasard : le Messie le choisit parce que c’est celui du Père. Qui veut suivre Jésus doit donc savoir sur quel chemin il s’engage : « Si quelqu’un veut me suivre, qu’il renonce à lui-même et prenne chaque jour sa croix ! » Comment pouvons-nous interpréter cette parole difficile ? Probablement qu’il faut comprendre que si nous décidons de suivre Jésus, il nous faudra apprendre à tout vivre dans une perspective pascale.
La gloire est donc déjà présente dans l’homme qui s’avance vers sa Passion ; elle sera présente aussi sur la Croix au pied de laquelle le Centurion rendra gloire à Dieu. La montagne de la Transfiguration n’évoquerait-elle pas cette autre montagne, où Jésus sera aussi entouré par deux hommes, où les disciples seront comme endormis parce qu’absents ? L’Exode est alors en voie d’être accompli. Le peuple présent ricane à propos du « Messie de Dieu, de l’Élu ». Sur le Golgotha s’accomplira la parole de Jésus qui précède le récit de la Transfiguration : « En vérité je vous le déclare, parmi ceux qui sont ici, certains ne mourront pas avant de voir le Règne de Dieu. » Le « bon » larron, qui décide de rejoindre le chemin de Jésus sur la croix, lui fait en effet cette demande : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu entreras dans ton Règne ! »
Le jour de Pâque, le Ressuscité montrera les plaies de sa Passion. Dans la lumière glorieuse de la transfiguration, il parle de sa passion. Sa Gloire n’est donc pas dissociable de sa Passion. Le chemin vers la Lumière passe par une route de ténèbres. Il nous faut donc apprendre à discerner dans nos moments de ténèbres cette présence de la gloire de Jésus. La Transfiguration est un mystère du Christ que nous pouvons vivre avec lui, sans le détacher du Mystère de Pâque. Marchons donc à la suite du Christ avec son Esprit qui habite en nous pour transfigurer nos corps de misère en son Corps de gloire. Vivons le Mystère de la Transfiguration en nous avançant dans la foi vers la lumière pascale. L’évangile de la Transfiguration a bien sa place sur notre route de Carême. Réveillons-nous, comme le firent les apôtres, et contemplons dans la nuée la lumière éblouissante du Fils bien-aimé. Réveillons-nous et faisons confiance à la puissante miséricorde de Dieu : alors, le visage dévoilé, nous refléterons dès maintenant cette gloire du Seigneur et nous serons transfigurés en son image (cf. 2 Co 3,17).