Au début du carême, la liturgie raconte un séjour de Jésus au désert. Quarante jours en quarantaine! Quarante jours pour faire le point. Il semble que ce fut un temps d’épreuve. Faire le point, ce peut aussi être éprouvant. Tant d’appels nous bombardent de tout côté, des sollicitations de toute sorte. Si vous cherchez le sens de votre vie, si vous voulez préciser votre identité, bref faire le point, une panoplie de propositions se présente devant vous. Et parmi celles-ci, bien des tentations de devenir autre chose que ce que vous êtes ou devriez choisir de devenir.
Si Jésus retournait au désert de nos jours, quelles tentations surgiraient devant lui? À quoi serait-il confronté? Ou encore sous quelle forme se présenteraient à lui les tentations universelles qui assaillent les humains à toutes les époques de l’humanité?
Aujourd’hui, nous accordons ou désirons accorder beaucoup de respect à l’individu. Nous avons défini des droits de la personne et nous les enchâssons dans une charte. Les derniers siècles ont été marqués par le mépris des personnes. Nous ne voulons plus de telles atrocités. Par contre, nous pouvons pousser très loin le respect de l’individu jusqu’à l’individualisme. Il me semble qu’aujourd’hui Jésus serait tenté par l’individualisme, une sorte de repli sur soi. Comme affirme le dicton: «Mes bébelles et dans ma cour!» Moi, moi et moi! Mon petit univers que je peaufine et dans lequel je m’enferme loin de la cohue, loin de la foule, loin des problèmes des autres. Il me semble qu’aujourd’hui Jésus serait tenté de se replier sur lui-même. L’égocentrisme le guetterait.
L’économie et les échanges commerciaux prennent beaucoup de place dans notre société. C’est normal. Nous ne pouvons plus nous contenter d’un petit lopin de terre comme à l’époque de nos ancêtres. Nous avons besoin les uns des autres, les produits et les services des uns des autres, pour vivre dans le contexte industrialisé et informatisé que nous connaissons présentement.
Avec cela que chacun cherche à percer dans ce grand univers de l’offre et de la demande. Et chercher à percer, c’est aussi concurrencer. C’est parfois une bonne chose la concurrence, cela force au dépassement. Mais quel dépassement? Dépasser en étant meilleur ou dépasser en écrasant les autres? Il me semble qu’aujourd’hui Jésus serait tenté de faire sa place sans tenir compte des autres ou en cherchant à les éliminer du paysage. Encore une fois, ne penser qu’à lui.
La science fait des découvertes extraordinaires. Nos ancêtres, même ceux qui sont morts il y a à peine cinquante ans, n’ont pu imaginer pareil développement. La plupart de nos découvertes sont des avancées. Nous pénétrons mieux le mystère du monde et de ses composantes. Nous comprenons mieux l’être humain dans toute sa complexité. Imaginez: nous pouvons maintenant connaître notre code génétique. Cela entraîne bien des possibilités au plan médical. Nous pouvons protéger la santé, la redonner même, avec beaucoup plus de facilité qu’autrefois. Devant autant de réussites, comment ne pas nous émerveiller. Mais, en même temps, nous pouvons croire que nous sommes les maîtres absolus de la vie. Nous pourrions penser: puisque c’est possible, nous pouvons le faire. Il me semble que Jésus serait tenté de ne pas questionner le bien fondé de certaines possibilités comme les manipulations génétiques, par exemple. Jésus serait tenté d’oublier que l’être humain est sacré, sa vie est sacrée. Sacrée comme on dit réservée, à protéger plus que tout, à respecter absolument.
Si Jésus retournait au désert aujourd’hui. Des tentations semblables aux nôtres l’assailliraient. Mais je crois qu’il choisirait encore d’être un homme ouvert aux autres, un homme de service, un homme respectueux de son identité et de son mystère.