Into the Abyss. A Tale of Life and Death, de Werner Herzog
Into the Abyss. A tale of Life and Death : magnifique titre dont les promesses sont tenues. En 2001, deux Texans de 19 ans tuent une femme, son jeune fils et l’ami de celui-ci, pour voler une voiture de sport rutilante. Jason écope de la prison à perpétuité. Michael est condamné à mort ; il n’a plus que quelques jours à vivre lorsque le documentaire commence.
« Le couloir de la mort » : sujet choc qui rappelle probablement à chacun des images d’une fiction larmoyante, d’un reportage formaté ou d’un honnête documentaire. Mais malgré sa facture relativement classique, Into the Abyss est une œuvre vraiment singulière, marquée par la patte puissante et distanciée de Werner Herzog, le réalisateur d’Aguirre, la colère de Dieu (1972) ou de Cœur de verre (1976). « Celui qui lutte contre les monstres doit veiller à ne pas le devenir lui-même. Or, quand ton regard pénètre longtemps au fond d’un abîme, l’abîme, lui aussi, pénètre en toi. »Cette citation de Nietzsche figure en exergue du dossier de presse.
Dès le premier entretien au parloir avec Michael, Herzog se positionne clairement : il lui explique que sa démarche n’est aucunement motivée par la sympathie, mais par un principe (il est contre la peine de mort). Outre ceux des meurtriers (qui se disent innocents), Herzog recueille les témoignages de leur entourage, des familles et amis des victimes, d’un policier qui était sur l’affaire, d’une visiteuse tombée amoureuse de Jason. Le réalisateur n’hésite pas à sortir du cercle des personnes directement concernées par ce fait divers sordide et absurde : il fait parler un pasteur qui accompagne les condamnés dans leurs derniers instants, ou encore un bourreau qui a procédé à plus de 125 exécutions…
Dénué de tout commentaire, le documentaire est néanmoins imprégné de la forte personnalité de son auteur. Herzog est un cinéaste, pas un journaliste. Peu lui importe de donner toutes les informations au spectateur (le procès est à peine évoqué). Il préfère, par exemple, fabriquer une séquence hallucinante avec les images tournées par la police lors de la découverte des corps.
Cinéaste cérébral, à la fois fiévreux et froid, il traite les personnages de ses documentaires comme des personnages de fiction. Il cherche à leur faire dire certaines choses et procède parfois de manière assez directe, voire brutale. Son approche, qui a le mérite de la franchise, prend certains personnages – notamment les voyous – à leur propre jeu, tant ils semblent être dans le masque, l’escamotage… ne dissimulant finalement qu’un vide vertigineux…
Enfin la distance du cinéaste allemand est un contrepoids salutaire à la tendance américaine à survaloriser l’expression de l’émotion. Et elle n’empêche pas l’émotion d’advenir, comme en témoigne la première scène du film, avec le pasteur, magnifique d’authenticité.
Au-delà des collines, de Christian Mungiu
Exorcisme en Roumanie
Autre fait divers, qui cette fois a défrayé la chronique en Roumanie en 2005, et inspiré une fiction au réalisateur Christian Mungiu : Au-delà des collines. Voichita vient chercher à la gare son amie Alina, 24 ans, qui revient d’Allemagne pour la voir. Les deux filles ont grandi ensemble dans un orphelinat. Alina est toujours follement éprise de Voichita (attribut crucial et purement fictionnel de leur relation), mais Voichita est devenue nonne. Elle se sent bien dans son monastère orthodoxe, situé dans un endroit reculé et rude de la Moldavie roumaine. Elle y prie et y travaille avec les autres nonnes et le prêtre, que toutes appellent « papa ».
La présence d’Alina perturbe cette vie réglée. La jeune fille est prête à tout pour rester avec le seul être qu’elle aime. Elle rêve d’une nouvelle vie avec Voichita… mais celle-ci prie et tient bon. La passion frustrée d’Alina devient panique : elle accepte de se confesser auprès du pope, envisage même d’intégrer la communauté. Lorsque son comportement devient suicidaire, elle est emmenée à l’hôpital. N’ayant personne pour l’accueillir à sa sortie, elle est renvoyée au monastère. Là, elle refuse de se soumettre aux règles et défie l’autorité du prêtre. Elle s’introduit dans le sanctuaire (réservé aux prêtres) pour s’emparer d’une icône déclarée miraculeuse par le pope, et dont elle conteste l’authenticité avec force et fracas.
Son mal-être étant compris par la communauté comme la conséquence de l’emprise d’esprits mauvais, elle est bientôt soumise à la lecture des prières d’exorcisme de saint Basile le Grand. La fin est tragique. Dans la réalité, le prêtre a été condamné à sept ans de prison et a été excommunié, comme les nonnes, par l’Eglise orthodoxe russe.
Ce qui frappe le plus dans cette histoire, c’est le peu de rigueur des règles monastiques (notamment de la clôture). Faiblesse d’autant plus dommageable que la communauté est formée de gens simples, dépassés par la situation. Christian Mungiu, qui tente de rester neutre, les présente d’ailleurs comme bienveillants. « Même si on agit avec les meilleures intentions, on peut faire le mal », commente-t-il. Mais quel est son point de vue ? Il n’est pas spirituel mais socio-politique : après le joug communiste, la société roumaine serait rentrée dans la soumission à une Eglise obscurantiste.
Apparemment cela a plu au jury cannois, qui a décerné au film le prix du meilleur scénario et aux deux comédiennes, ex-aequo, le prix d’interprétation féminine.