Bien malins les détectives qui arriveraient à démêler ce qui est historique et ce qui est pure fiction dans le récit de la visite des mages à la crèche (Matthieu 2, 1-12). Dans le récit et dans les développements qui ont suivi. On parle souvent de rois, mais l’évangile ne dit pas cela. On pense qu’ils sont trois, mais le récit ne précise pas le nombre. Peut-être qu’ils n’ont pas existé, même si les gens de Cologne croient posséder leur corps dans leur cathédrale.
Tout ce travail d’imagination autour de la scène montre bien l’importance de cette aventure à travers les siècles. En retournant au témoignage de saint Matthieu, que peut bien signifier, pour nous en 2013, cette visite des mages à la crèche?
Ces voyageurs sont des mages. Probablement des hommes de science qui observent la nature, en découvrent les lois, scrutent le ciel à la recherche des astres. Ils sont peut-être des astrologues qui essaient de percer le mystère des phénomènes naturels. Leur travail scientifique va les mettre en route, à la recherche d’un roi qui vient de naître. Ce n’est pas la foi qui les met en route, mais la curiosité: ils veulent voir un bébé qui s’annonce être un grand roi.
Il arrive parfois que l’aventure de la foi ne commence pas dans la foi, mais dans la curiosité, dans le questionnement, dans la recherche de la vérité. Nous cherchons… Nous savons des choses, nous avons des connaissances, mais nous voulons aller plus loin. Nous voulons percer les mystères de la nature. Qu’est-ce que c’est? Qui suis-je? Qu’est-ce que la vérité? Que cache-t-elle, cette vérité que je cherche? Et avec les « qu’est-ce que? » surgissent les « Pourquoi? ». Nous voulons savoir pourquoi les choses existent. Pourquoi je vis? Quelles sont mes raisons de vivre? Toutes ces questions nous mettent en route, comme les mages de l’évangile.
Les mages sont guidés par une étoile, une jeune étoile qui vient de leur apparaître pour la première fois. C’est fragile une étoile dans la lunette d’un astronome. Un nuage peut la faire disparaître. On ne voit les étoiles que durant la nuit. On aimerait bien parvenir au grand jour. Mais à midi, en plein soleil, on perd les étoiles. Pour suivre les étoiles, il faut accepter de se retrouver en pleine nuit, consentir à vivre dans l’ombre, à l’aveuglette.
La quête de la vérité, la recherche de la connaissance supposent qu’on fasse d’abord le deuil de la pleine lumière. La vérité qu’on recherche exige tout au long de la démarche une croyance. Je ne sais pas, je cherche à savoir: dans la nuit, je crois que l’aurore viendra, je crois que le plein midi peut exister. Et je cherche.
Les mages ont rencontré sur leur route les gens de Jérusalem. Ils ont rencontré un roi, Hérode, qui se méfiait. Ils ont rencontré aussi d’autres savants, des religieux qui savaient beaucoup de choses sur le messie et sur Dieu, mais qui ne se laissaient pas toucher par ce qu’ils savaient.
Il arrive parfois, peut-être souvent, qu’on rencontre des gens qui sont en face de la vérité mais demeurent indifférents. La lumière ne les éblouit pas. Ils parlent de la vérité, ils parlent de Dieu, mais ils restent froids, ils ne sont pas émus.
Nous pouvons avoir vécu une telle expérience à un moment ou l’autre de notre vie. J’appelle cela: la foi d’habitude. Je parle de Dieu comme je parle de la pluie et du beau temps. Je ne suis pas saisi vraiment par la bonne nouvelle des attentions de Dieu et de sa présence dans ma vie. L’étoile de la foi ne m’a pas mis en route comme les mages. Je suis comme les chefs des prêtres et les scribes d’Israël: je regarde passer la caravane sans prendre la route à mon tour.
Les mages, eux, ont marché. Ils ont poursuivi leur voyage malgré l’indifférence des autres. Et ils sont arrivés à l’enfant et sa mère Marie. Ils étaient partis à la recherche d’un grand personnage, un roi. Au bout du chemin, ils se trouvent devant une famille pauvre, un bébé bien ordinaire.
Les mages éprouvent pourtant une très grande joie. Ils tombent à genoux et se prosternent devant l’enfant, comme on fait devant Dieu. Le voyage a affiné leur regard. Progressivement, ils ont fait le deuil de leurs grands rêves de rencontres prodigieuses. Sans mystique éblouissante, sans extase particulière, sans expérience exceptionnelle, ils ont rencontré Dieu, mais Dieu dépouillé comme leur regard, Dieu pauvre comme une famille démunie, Dieu fragile comme un bébé qui vient de naître, Dieu déraisonnable comme ce voyage fabuleux qui aurait mérité plus de faste et d’éclat. Et les mages ont consenti à cette fragilité de Dieu en leur présence. Ils ont accepté de vivre leur foi dans la nudité et la pauvreté.
Et les mages nous disent à nous, 2000 ans plus tard: « Partez, mettez-vous en route à la recherche de Dieu. En cours de route, laissez-vous déstabiliser. Faites le deuil de certains de vos rêves. Faites le deuil des grandes expériences spirituelles. Consentez à rencontrer Dieu dans toute sa fragilité et dans votre propre fragilité. »