Ce monde va passer… Seul Jésus ne passe pas !
Jésus parlait à ses disciples de sa venue : « En ces temps-là, après une terrible détresse, le soleil s’obscurcira et la lune perdra son éclat.
Les étoiles tomberont du ciel, et les puissances célestes seront ébranlées.
Alors on verra le Fils de l’homme venir sur les nuées avec grande puissance et grande gloire.
Il enverra les anges pour rassembler les élus des quatre coins du monde, de l’extrémité de la terre à l’extrémité du ciel.
Que la comparaison du figuier vous instruise : Dès que ses branches deviennent tendres et que sortent les feuilles, vous savez que l’été est proche.
De même, vous aussi, lorsque vous verrez arriver cela, sachez que le Fils de l’homme est proche, à votre porte.
Amen, je vous le dis : cette génération ne passera pas avant que tout cela n’arrive.
Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas.
Quant au jour et à l’heure, nul ne les connaît, pas même les anges dans le ciel, pas même le Fils, mais seulement le Père.
COMMENTAIRE
Le ciel et la terre ne sont pas éternels. Ils passeront. Seules les paroles divines demeurent, et celles de Jésus, bien sûr. Il est une chanson que les enfants aiment chanter au Cameroun : « Ce monde va passer… Seul Jésus ne passe pas ! » Tous, nous passerons, au double sens du verbe : en français (comme en grec), « passer » peut signifier « disparaître » mais aussi « aller » d’un endroit à un autre. Ne sommes-nous pas des pèlerins qui ont été appelés à se mettre en marche avec Jésus en se laissant conduire par lui. Nous sommes des voyageurs en transit vers une destination qui est au-delà de nous-mêmes, une « patrie céleste » comme dit l’auteur de l’épître aux Hébreux (He 11,16). Et si tu es avec le Christ, comme l’écrit fort bien saint Paul, ce qui est ancien doit « passer » et disparaître pour faire place à une nouveauté de vie (cf. 2 Co 5,17). Cela est vrai à la fois pour notre vie d’aujourd’hui et pour la vie future.
Il n’est pas facile d’entrer, comme le Christ, dans la profondeur du mystère pascal, de passer de la mort à la vie (Jn 5,24) et de ce monde au Père (Jn 13,1). Même Jésus, avant d’y entrer, a demandé que cette coupe passe loin de lui (Mt 26,39) ! Et nous, si nous voulons vivre la nouveauté du Christ, il nous faut accepter d’être dépouillé du « vieil homme » (Ep 4,22) comme Jésus fut dépouillé de sa tunique ; de « suivre nu le Christ nu », selon le bel adage médiéval ; de passer par la porte étroite où aucun bagage ne peut nous accompagner ; d’avancer sans rien, « les mains vides » pour reprendre les mots de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, dépouillés de nos fausses sécurités. Le seul choix du croyant est de saisir la main du Christ et de s’abandonner comme Étienne en toute confiance : « En tes mains, Seigneur, je remets mon esprit » (Lc 23,46 ; Ac 7,59) ; n’ayant d’autre assurance que la seule présence de Jésus au cœur de ce passage et reprenant les paroles du psaume du Bon Pasteur : « passerais-je le ravin de la mort, je ne crains rien car tu es avec moi… » (Ps 22/23,4).
En ces derniers jours de l’année qui nous orientent vers la fin de l’histoire et vers la venue du Fils de l’homme sur les nuées du ciel, ne soyons pas habités par la peur de la fin ou l’angoisse du jugement dernier. Celui qui devra nous juger, c’est notre Ami, notre Frère, notre Sauveur, notre Bon Berger, celui qui a la mission de nous conduire à la vie en nous délivrant de la mort et de la disparition. Comme le dit le beau psaume 15 (graduel) : « Seigneur, de toi dépend mon sort (…), tu ne peux m’abandonner à la mort, ni laisser ton ami voir la corruption. (…) Tu m’apprends le chemin de la vie. » Comme Jésus lui-même a rassuré les apôtres effrayés dans leur barque au milieu de la tempête (Mt 8,25-26), il rassure chacun de nous et calme les tempêtes qui agitent nos cœurs.
Notre pèlerinage est accompagné : « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin » ; un jour viendra où nous passerons à travers la porte étroite en tenant la main de l’Ami qui ne peut pas nous abandonner à la mort : « Ta main me conduit, ta droite me saisit… » (Ps 138,10). Sur le chemin que nous empruntons déjà avec lui au quotidien, il nous fait entendre des paroles qui ne passent pas et qui nous entraînent dans la vie éternelle si nous les mettons en pratique maintenant : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés… » (Jn 13,34). L’amour, en effet, ne peut pas disparaître (1 Co 13,8) puisque « l’amour vient de Dieu », que « Dieu est Amour » (1 Jn 4,7-8) et que Dieu ne passe pas. Il n’y a pas à avoir peur de la mort ou du jugement si nous aimons comme Jésus. Ne vivons pas repliés sur nous-mêmes et trop préoccupés de la gestion de nos biens, mais ouvrons nos yeux et aidons très concrètement ceux qui nous entourent. L’avertissement de Jésus est à prendre au sérieux : « Que sert à l’homme de gagner le monde s’il se perd lui-même ? » (Lc 9,25).
La logique de l’évangile est tellement éloignée de celle qui prédomine dans nos sociétés ! Nous cherchons à accumuler des richesses pour assurer notre avenir ou celui de nos enfants et nous oublions de partager et de donner. C’est la logique du don qui a animé l’existence de Jésus : « il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie » pour les autres (Jn 15,13). Il nous a sauvés en donnant sa vie pour que nous vivions (1 Jn 3,16 ; Mc 10,45). C’est ce que dit (dans la deuxième lecture) l’auteur de l’épître aux Hébreux, mais avec des mots difficiles à comprendre car ils évoquent les sacrifices offerts jadis au temple de Jérusalem : Jésus « a offert pour les péchés un unique sacrifice ». Laissons-nous conduire par l’Esprit Saint qui a conduit Jésus à s’offrir pour nous et qui nous invite au-dedans de nous à aimer simplement tous ceux qui nous entourent. Laissons l’Esprit nous apprendre à aimer très concrètement, à donner, à offrir, à partager, à aider, à visiter, à consoler… C’est ainsi que nous entrerons déjà dans la vie éternelle. Saint Jean de la Croix a résumé tout l’évangile par ces mots : « au soir de notre vie, nous serons jugés sur l’amour. »
Nous passerons, c’est sûr, mais l’amour semé dans nos vies mortelles ne pourra pas disparaître car c’est la présence même de Dieu dont la vie est éternelle. Cet Amour qui nous habite nous relèvera d’entre les morts : « Qui pourra nous séparer de l’Amour du Christ ? » se demande saint Paul (Rm 8,35). Avec lui, nous répondons avec une immense confiance : rien, pas même la mort ! (cf. Rm 8,38-39).
Frère François-Dominique CHARLES, o.p.