Le jeudi 11 octobre 1962, les yeux sont tournés vers Rome, vers la basilique Saint-Pierre. Des centaines d’évêques en habits d’apparat d’une autre époque sont réunis. Dans le reste du monde, beaucoup ignorent que l’assemblée de ces hauts notables est en train de faire naître un printemps. En plein automne, dans une Église qui a plutôt des allures de mauvais hiver, un printemps : le concile Vatican II.
Un vieillard a déclenché l’affaire. Un pape de transition, avait-on dit lors de son élection à la tête de cette Église sclérosée, repliée sur elle-même. Un vieillard qui, peut-être, n’a pas prévu que son geste bouleverserait les saisons des croyants et même celles des autres. Un vieillard qui ouvre les fenêtres pour laisser entrer un peu d’air pur, des odeurs nouvelles, des lumières qui n’ont pas eu la chance de pénétrer dans les sombres couloirs d’une Église endormie.
Pour ce concile, on prévoyait quelques grands discours pour réaffirmer la foi de toujours, l’immuable foi encastrée dans les mots des conciles antérieurs. Le tout serait enrobé dans des liturgies fastueuses surgissant des siècles antiques. Bref, une grande démonstration de la Vérité que de vieux sages protégeaient des assauts du malin et qui trouveraient de solides appuis dans cette rencontre des principales autorités de l’Église. Quelques semaines de ronflements, trois tout au plus, et tout ce beau monde retournerait à ses routines habituelles.
Les prédictions ne se vérifièrent pas. Au contraire. Les pères conciliaires se lancèrent dans de grands débats. Ils firent appel aux meilleurs spécialistes de la théologie et de la pastorale. On aborda de nombreuses questions qui touchent la place de l’Église dans le monde de ce temps. On osa même demander un renouvellement en profondeur de la sainte liturgie, ce monument sacré qu’on croyait intouchable.
Cela ne devait pas dépasser trois semaines. Cela a duré trois ans. Pardon! Cela dure depuis cinquante ans! Un long printemps qui n’a pas fini sa sortie de l’hiver, ses mûrissements estivaux, ses moissons automnales. Toutes les saisons se retrouvent dans ce grand événement porté par des hommes et des femmes qui vivent de Jésus Christ et de son Évangile. Un grand événement où l’Esprit travaille à temps plein!
Certains – à l’intérieur comme à l’extérieur – sont d’avis que l’état de l’Église n’a rien d’un printemps. Les églises se vident; les scandales sexuels s’étalent au grand jour; le feu est pris dans les officines romaines; les vocations à la prêtrise comme dans la vie religieuse se font de plus en plus rares; etc.
Mais les rafales de l’hiver, si importantes soient-elles, laissent de la place, beaucoup de place, à de chauds rayons de soleil. Prenons le temps de regarder ce qui se passe au ras des pâquerettes. La foi des croyants est plus profonde, plus articulée, plus proche de l’Évangile. Les chrétiens et les chrétiennes sont mieux formés. Les prêtres sont de moins en moins nombreux mais les laïcs sont de plus en plus engagés dans leur communauté comme dans la société. Plus que jamais, on prend son baptême au sérieux. Le visage de l’Église est en profonde mutation, sous l’influence de l’Évangile. L’Esprit réalise de grandes choses à travers les baptisés de tous âges.
La vraie vie est discrète; elle n’occupe pas la une des journaux. L’Évangile s’annonce sans tambour ni trompette. Souvent, il prend racine dans le silence d’humbles germinations.
Non, le printemps conciliaire n’a pas fini de produire ses fruits. Il dure depuis cinquante ans et il peut se poursuivre encore longtemps. Avec la grâce de Dieu, qui ne fait jamais défaut.