Un matin de décembre 2005, Benoît XVI apparaît place Saint Pierre, coiffé du camaro, bonnet de velours rouge abandonné depuis la mort de Jean XXIII, et revêtu de vêtements du passé. Pour ce vieux pape, élu à 78 ans, le concile Vatican II ne semblait pas comporter de rupture avec le passé. « Benoît XVI, le pape incompris » partageait-il encore les visées du Concile, « ouvrir les fenêtres de l’Église sur le monde » ?
L’auteure, Isabelle de Gaulmyn, journaliste au quotidien français “La Croix”, était depuis 2005 envoyée spéciale permanente à Rome, près le Vatican. Cette journaliste nous propose dans son livre « Benoît XVI – Le pape incompris » un suivi de l’actualité vaticane. « Simplement, en vivant dans ce minuscule État, on s’aperçoit rapidement, écrit-elle, que ce qui se passe au Vatican déborde largement l’appareil gouvernemental de l’Église catholique. Y viennent chaque jour des milliers de pèlerins apportant dans leur valise un « morceau d’Église ».
Pour Isabelle de Gaulmyn, Rome, c’est d’abord un pape dont la parole résonne bien au-delà des colonnes du Bernin et dont le témoignage n’est pas toujours saisi à sa juste dimension. D’où le titre « Benoît XVI, le pape incompris », livre dans lequel elle nous partage sa vision de femme journaliste attachée aux pas du Pontife : Benoît XVI, homme très humain et de très haute dimension qu’elle nous permet de mieux connaître tant au Vatican qu’en ses divers déplacements. Elle nous dévoile la stature d’un être d’une extrême cohérence et d’une profonde spiritualité. Mais, comme le constate le cardinal Cottier, dominicain, Benoît XVI va montrer qu’on peut être pape « autrement » que ses prédécesseurs.
Benoît XVI n’est pas une « star » comme Jean-Paul II. « Il n’aime pas se trouver dans une « structure qui se célèbre en permanence ». Il est évêque de Rome et non évêque du monde. Et celui que l’on pensait antimoderne, comme « panzer cardinal », s’est révélé aux USA en 2008, écrit le Boston Globe, leader compatissant et priant. Le Consistoire n’a pas élu un homme de gouvernement, mais un intellectuel.
Ce serait mal comprendre le pape Ratzinger que d’en faire l’homme de grandes réformes, ou soucieux de construire de nouvelles théories, voire même de nouvelles théologies. Élevé à la tête de l’Église, le vieux pape ne se fait pas d’illusions. Pour Benoît XVI, l’Église est affaiblie et en perte de vitesse. Benoît XVI en connaît toutes les rides et les ombres. Église affaiblie, mais non moins Église divisée. Aux yeux du pape, la faute en revient aux errements postconciliaires. L’Église traverse des épreuves difficiles. « Nous avons tant espéré, mais les choses se sont passées autrement », déclare-t-il aux prêtres du diocèse de Trévise.
Sachant bien malgré tout qu’il ne peut tout faire, Benoît XVI semble avoir volontairement décidé de se concentrer sur ce qu’il juge important, à savoir le discours de foi. « Successeur de Jean-Paul II, Benoît XVI préfère rendre « service » et conforter les bases d’une Église plutôt que de l’engager dans des directions qu’il ne pourra ensuite contrôler ». Sensible aux interrogations du monde contemporain, il revendique la place de l’Église dans le débat contemporain, et tente d’y réintroduire la pensée catholique sur l’éthique, la science et le respect de la vie. Dans son entretien avec Hans Kung et le souci de ce dernier d’élaborer une éthique mondiale, Benoît XVI plaide pour réintroduire la foi dans la raison. L’inoubliable discours de Ratisbonne et sa venue à l’université « La Sapienza » ont déchaîné des polémiques où Benoît XVI revendique pour la théologie sa place dans les disciplines universitaires.
« Ou donc était Dieu » interroge ce fils du peuple allemand au camp d’extermination de Birkenau. Ou donc est Dieu aujourd’hui reprend-il sur tous les tons. N’y aura-t-il un jour sur ces terres que des pierres à parler du christianisme? Aussi, dans cette Église fragilisée, Benoît XVI veut-il introduire avant tout les éléments fondamentaux. Il ne perd pas une occasion d’expliquer le noyau dur de la foi chrétienne. Les catholiques doivent se réapproprier les piliers de leur foi. Ainsi dans son premier discours au corps diplomatique, alors que l’on s’attendait à une revue des problèmes politiques, Benoît XVI livre aux ambassadeurs un discours sur la vérité de la paix.
L’Église ne fait pas de politique et ne s’engage pas non plus dans un activisme social. Et pour lui, la foi n’est pas non plus affaire de morale. Au JMJ de Cologne, Benoît XVI prend tout le monde à contre-pied en concentrant son intervention sur la foi chrétienne. Il demande aux jeunes de vivre à la mesure de Dieu. De même dans son discours aux familles, habitués que nous étions à la tendance dure de la morale sexuelle et familiale, Benoît XVI en parle comme d’un lieu privilégie où toute personne apprend à donner et recevoir de l’amour.
Benoît XVI est un homme et un penseur angoissé par le devenir de notre civilisation. « Le relativisme et tous ces « ismes » exercent une dictature sur notre société et provoquent la perte de sens de la vie humaine ». Quelle difficulté peut avoir Benoît XVI à s’adresser au monde contemporain, « terriblement chrétien » comme le décrit J.-C. Guilbeault! La vérité imprègne discours et pensée de ce disciple de saint Augustin. La vérité pour lui se décline dans une grammaire naturelle, la loi naturelle, norme écrite par le Créateur. Message éthique contenu dans chaque être. Peut-on admettre que la vérité puisse différer en fonction des contextes, des époques, des cas ?
Enfin, l’objectif poursuivi par Benoît XVI reste l’unité et sa lettre aux catholiques chinois demeure un lieu de référence. Il n’y a qu’une Église en Chine, l’Église catholique. C’est ainsi qu’il tend la main aux évêques nommés sans l’accord de Rome. Dans la suite de l’histoire, après le baiser de paix de Jérusalem entre Paul VI et le patriarche Athénagoras, Benoît XVI rêve de répéter le geste avec le patriarche de Moscou et sceller ainsi les retrouvailles entre les deux poumons de la chrétienté après plus d’un millénaire de séparation.
Ce pape que l’on dit âgé et fatigué prend malgré tout des initiatives remarquables. Dans une audience à des catholiques d’aujourd’hui, laissant de côté le discours écrit, le visage transfiguré. Benoît XVI se met à improviser sur un auteur du Ve siècle. Les problématiques de l’Église moderne lui rappellent celles d’autrefois, les controverses que réussirent à éclairer tous ces Anciens. Jean-Paul II parlait de « nouvelle évangélisation», Benoît XVI parle plutôt d’une véritable première évangélisation. Pour lui, l’enjeu de ce temps est d’évangéliser les évangélisés. Il importe de rendre visible le « grand Oui de la foi » dans tous les domaines.
Pour reprendre l’appréciation des JMJ de Cologne et la suite, « on allait pour voir Jean-Paul II, on vient maintenant pour entendre « Benoît XVI, le pape incompris ».