Ne cherchons pas Jésus pour manger mais pour vivre !
La foule s’était aperçue que Jésus n’était pas là, ni ses disciples non plus. Alors les gens prirent les barques et se dirigèrent vers Capharnaüm à la recherche de Jésus.
L’ayant trouvé sur l’autre rive, ils lui dirent : « Rabbi, quand es-tu arrivé ici ? »
Jésus leur répondit : « Amen, amen, je vous le dis : vous me cherchez, non parce que vous avez vu des signes, mais parce que vous avez mangé du pain et que vous avez été rassasiés.
Ne travaillez pas pour la nourriture qui se perd, mais pour la nourriture qui se garde jusque dans la vie éternelle, celle que vous donnera le Fils de l’homme, lui que Dieu, le Père, a marqué de son empreinte. »
Ils lui dirent alors : « Que faut-il faire pour travailler aux œuvres de Dieu ? » Jésus leur répondit :
« L’œuvre de Dieu, c’est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé. »
Ils lui dirent alors : « Quel signe vas-tu accomplir pour que nous puissions le voir, et te croire ? Quelle œuvre vas-tu faire ?
Au désert, nos pères ont mangé la manne ; comme dit l’Écriture : Il leur a donné à manger le pain venu du ciel. »
Jésus leur répondit : « Amen, amen, je vous le dis : ce n’est pas Moïse qui vous a donné le pain venu du ciel ; c’est mon Père qui vous donne le vrai pain venu du ciel.
Le pain de Dieu, c’est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde. »
Ils lui dirent alors : « Seigneur, donne-nous de ce pain-là, toujours. »
Jésus leur répondit : « Moi, je suis le pain de la vie. Celui qui vient à moi n’aura plus jamais faim ; celui qui croit en moi n’aura plus jamais soif.
COMMENTAIRE
Souvent dans l’évangile de saint Jean, Jésus et ses auditeurs ne se comprennent pas car ils ne sont pas sur la même longueur d’onde ; cela crée un certain nombre de malentendus qui amènent Jésus à s’expliquer. Ainsi, beaucoup de ceux qui le suivent ont du mal à accéder à la profondeur de son message et ils en restent à leur propre compréhension de ce qu’ils voient et entendent : ils s’arrêtent au seuil de l’enseignement et risquent de passer à côté de l’essentiel. D’une certaine façon, ces gens sont attirés vers Jésus parce qu’ils veulent « profiter » de lui pour eux-mêmes. Ils ressemblent un peu à ce paysan dont parle Maître Eckhart, dans un de ses sermons allemands, qui n’aime sa vache que pour le lait et le beurre qu’il pourra en tirer ! Or si Jésus fait des « signes » et non des miracles dans le quatrième évangile, ce n’est pas pour épater ceux qui viennent vers lui, c’est pour les aider à comprendre qui il est et quel est le but de sa mission : il est « envoyé » par le Père avec la mission d’être « le Sauveur du monde » (Jn 4,42).
Si nous croyons en lui, mieux vaut donc ne pas faire comme ces gens de l’évangile qui sont à la recherche de Jésus pour qu’il leur donne à manger. Écouter la Parole de Dieu chaque dimanche, voire chaque jour, consiste d’abord à ouvrir ses oreilles pour accueillir ce que le Seigneur veut nous dire. Cela nécessite de laisser de côté nos soucis et nos attentes trop centrées sur nous-même pour accueillir sa présence dans notre vie. Commençons toujours par lui demander d’ouvrir nos oreilles (cf. Is 50,5 ; Ps 40,7) afin que nous puissions être vraiment attentifs pour accueillir l’enseignement qu’il nous destine. Reprenons la belle prière du petit Samuel : « Parle, Seigneur, ton serviteur écoute ! » (1 Sm 3,9-10). Pour entrer dans le sens de ce que Jésus explique, il est nécessaire de ne pas trop vite croire qu’on a tout compris. C’est une expérience tellement fréquente dans les discussions que nous avons avec nos proches : chacun parle sans écouter ce que les autres disent. Nos échanges ne sont souvent que l’occasion d’exprimer son point de vue aux autres. L’écoute attentive des autres est ce qu’il y a de plus difficile car, pour écouter quelqu’un, il convient de se taire et de faire l’effort de comprendre ce qu’il veut nous dire. Cette attitude n’est pas facile à développer ; elle nécessite un énorme effort, elle présuppose un accueil de l’autre et une attention à lui et à ses préoccupations ; cela nécessite de ma part de mettre mes préoccupations dans ma poche pour donner la priorité à la compréhension de l’autre. N’est-ce pas d’ailleurs parce qu’un vrai dialogue présuppose une écoute mutuelle véritable que tant de sommets de chefs d’États échouent. Chacun vient simplement pour convaincre les autres ; personne n’est vraiment prêt à écouter et à comprendre les autres points de vue que le sien. Personne n’est prêt, au fond, à modifier son point de vue en tenant compte de ceux des autres.
Il en va de même dans notre vie ordinaire et nos rencontres avec nos proches : apprenons à ouvrir nos oreilles pour écouter ce que nous disent ceux avec qui nous parlons ! Découvrons aussi que la vie spirituelle consiste à écouter le Seigneur beaucoup plus qu’à lui parler ! Faisons cette expérience extraordinaire de l’écoute attentive des autres et nous découvrirons combien nos discussions avec eux peuvent devenir des chances de vraies rencontres dans lesquelles nous sommes transformés par les autres… Il n’y aura plus aucun malentendu entre nous. Apprenons aussi à être attentif au Seigneur dans l’écoute de sa Parole et dans un accueil des autres. Ne soyons pas comme ceux que le prophète Jérémie traite d’insensés parce qu’« ils ont des oreilles mais n’entendent rien » (Jr 5,21 ; cf. Ez 12,2). Jésus fera d’ailleurs le même reproche à beaucoup de ceux qui viennent à lui (Mt 13,13-15 ; cf. Ac 28,27). Ne soyons pas de ceux qui ferment leurs oreilles ; soyons de véritables disciples à qui Jésus peut dire : « Heureux sont vos yeux parce qu’ils voient et vos oreilles parce qu’elles entendent » (Mt 13,16). Ouvrons donc bien nos oreilles : aujourd’hui, écoutons pour de vrai la Parole de Dieu !
Dans l’évangile, les gens viennent de manger à volonté. Jésus, en effet, a fait le grand signe de la multiplication des pains. Tous les gens qui ont été nourris veulent retrouver celui qui a fait ce signe extraordinaire. Mais ces gens qui cherchent Jésus en restent au fait qu’ils ont mangé à volonté ; c’est cela seul qui les intéresse ! Jésus le leur reproche : « Vous me cherchez, non parce que vous avez vu des signes, mais parce que vous avez mangé du pain et que vous avez été rassasiés ! » Il veut déplacer leur intérêt et les amener à comprendre le sens profond du signe qu’il a posé et dont ils ont été à la fois les bénéficiaires et les témoins. La question, ici, n’est pas d’être avec Jésus pour avoir de quoi se nourrir tous les jours mais d’être avec lui parce qu’il est « le pain de Dieu qui descend du ciel et qui donne la vie au monde ». Jésus invite ceux qui l’écoutent à croire en lui en reconnaissant qu’il est « le Fils de l’homme que Dieu, le Père, a marqué de son empreinte ». Que de titres donnés à Jésus pour exprimer dans ce petit passage d’évangile le grand mystère de sa personne : « Rabbi », puis « le Fils de l’homme », puis « celui que le Père a envoyé », puis « celui qui descend du ciel », puis « le pain véritable venu du ciel », puis « Seigneur », puis « le pain de la vie ». Tout ce passage invite à dépasser le signe visible de la multiplication des pains pour accéder à la révélation du mystère de Celui qui a fait ce signe afin de croire en lui.
Jésus a multiplié les pains pour nourrir les foules comme Dieu, au désert de l’Exode, avait fait descendre du ciel la manne pour nourrir son peuple affamé. Mais cette fois, il ne s’agit plus de manne, mais d’un tout autre pain qui vient du ciel. Jésus se présente ici comme celui qui nourrit les foules, ce dont Dieu seul est capable : il le peut parce qu’il est « l’Envoyé du Père », celui « que Dieu, le Père, a marqué de son empreinte », « le pain de Dieu, celui qui descend du ciel », celui que le Père a envoyé pour qu’il « donne la vie au monde » ; il est donc lui-même « pain de la vie », « pain véritable ». Celui qui va au-delà du signe pour croire que Jésus est envoyé de Dieu, c’est-à-dire Dieu en personne, trouvera la vie véritable et sera rassasié en plénitude : « Celui qui vient à moi n’aura plus jamais faim ; celui qui croit en moi n’aura plus jamais soif. » Celui qui est attentif au signe et à l’enseignement de Jésus, qui a ouvert ses yeux et ses oreilles, accède à la foi et reçoit la vie en comprenant qui est vraiment Jésus et en décidant non plus de chercher celui qui donne à manger mais celui qui fait vraiment vivre.
Les signes que Jésus pose dans l’évangile de Jean ont tous pour but de nous amener à croire en la puissance de vie et de salut dont la personne de Jésus est la source. Ne suivons donc pas Jésus par intérêt, comme le paysan de Maître Eckhart s’intéresse à sa vache à cause du lait qu’elle lui procure. Faisons totalement confiance à celui qui se révèle comme l’Envoyé de Dieu, Celui qui est descendu du ciel, Celui qui donne la vie au monde, Celui qui comble tous ceux qui viennent à lui avec une foi véritable. Il est Sauveur du monde parce qu’il est lui-même la source de la vie. Allons avec foi communier aujourd’hui au « Pain de la vie », recevons cette vie véritable qui nous permet de vivre dans l’accueil quotidien de la présence du Seigneur et dans une attention à tous ceux qui nous entourent.
Frère François-Dominique CHARLES, o.p.