C’était un petit ruisseau, presqu’un ru. Dans son itinéraire, il nous venait du village voisin. Il traversait chez nous en se faufilant sous le pont. Puis il inventait son chemin jusqu’au fleuve en s’adaptant aux accidents de terrain qui se présentaient à lui.
Des saules lui offraient une haie d’honneur presque partout sur son passage. De temps à autre, le vent les faisait danser. Ces jours-là, on avait l’impression que le ruisseau chantonnait plus qu’à son habitude. Des rires en cascades en caressant les roches le long de son parcours.
L’eau était belle. Elle nous arrivait claire et fraîche, pure comme du cristal. La pollution n’avait pas encore atteint ce coin de paradis. Le ruisseau affichait une très bonne santé. Les marguerites et les pissenlits en profitaient ; ils poussaient généreusement entre les arbres.
Le ruisseau n’était qu’un ruisseau! Mais nous l’appelions «La Rivière», avec des majuscules. Nous lui donnions ainsi de la noblesse d’autant plus qu’il était seul de son espèce dans la région. Seul avec le fleuve qui avait sa majesté à lui.
La tranquille présence de notre ruisseau nous laissait soupçonner qu’il préférait la discrétion. Durant les longs mois d’hiver, il observait un silence absolu. Au printemps, il se réveillait sans embâcle ni débâcle. Il passait l’été dans le farniente, s’adaptant sereinement à la pluie et profitant du soleil. Il s’agitait un peu à l’automne, mais si peu. Une vie calme, une histoire sans histoire…
Avec les années, notre ruisseau est devenu pour moi une image de Dieu. Rien de moins! Tout a commencé un jour de tempête intérieure. Tout allait de travers dans ma vie. Assis au bord de La Rivière, les pieds dans l’eau, je pleurais. Sans trop m’en rendre compte, je priais.
Le ruisseau m’inspirait. Dieu traverserait-il ma vie discrètement comme La Rivière? Est-il présent dans mon histoire comme ce ruisseau qui, tout naturellement, m’apaise aux jours de grands vents? Et cela, sans prodige, sans miracle?
Je n’ai jamais su où notre ruisseau prenait sa source. Ainsi en est-il du mystère de Dieu : il vient d’ailleurs, infiniment d’ailleurs… Le ruisseau se déverse dans le grand fleuve. Ainsi Dieu : il se déploie dans la création, dans nos paysages intérieurs, dans nos rencontres, dans l’épopée de l’humanité…
Le ruisseau a ses saisons; Dieu aussi. Ou plutôt, il s’adapte à nos climats intérieurs. Il se colle tellement à notre vie qu’il laisse l’impression de ne pas être là. Et pourtant… Il épouse nos drames. Il parcourt les champs de nos bonheurs et dévale les coteaux de nos problèmes. Comme le ruisseau, il fait partie du paysage. Il ne s’impose pas; il se propose plutôt.
En plein été, aux jours de nuages comme aux jours de soleil, prenons le temps de remarquer Dieu au fil de nos saisons. Comme on rencontre un ruisseau…
N.B.
C’est l’été. L’auteur des billets hebdomadaires prend le temps d’aller rêvasser le long de son ruisseau. Il reviendra à sa chronique dans quelques semaines. Bon été.