Repas pascal et mémorial du sacrifice du Christ
Le premier jour de la fête des pains sans levain, où l’on immolait l’agneau pascal, les disciples de Jésus lui disent : « Où veux-tu que nous allions faire les préparatifs pour ton repas pascal ? »
Il envoie deux disciples : « Allez à la ville ; vous y rencontrerez un homme portant une cruche d’eau. Suivez-le.
Et là où il entrera, dites au propriétaire : ‘Le maître te fait dire : Où est la salle où je pourrai manger la Pâque avec mes disciples ? ‘
Il vous montrera, à l’étage, une grande pièce toute prête pour un repas. Faites-y pour nous les préparatifs. »
Les disciples partirent, allèrent en ville ; tout se passa comme Jésus le leur avait dit ; et ils préparèrent la Pâque.
Pendant le repas, Jésus prit du pain, prononça la bénédiction, le rompit, et le leur donna, en disant : « Prenez, ceci est mon corps. »
Puis, prenant une coupe et rendant grâce, il la leur donna, et ils en burent tous.
Et il leur dit : « Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, répandu pour la multitude.
Amen, je vous le dis : je ne boirai plus du fruit de la vigne, jusqu’à ce jour où je boirai un vin nouveau dans le royaume de Dieu. »
Après avoir chanté les psaumes, ils partirent pour le mont des Oliviers.
COMMENTAIRE
L’évangile de Marc relate l’institution du sacrement de l’Eucharistie par Jésus au cours du repas pascal : il est question dans l’évangile d’aujourd’hui des « préparatifs pour le repas pascal » et de « manger la Pâque ». Le sacrement de l’Eucharistie a donc un lien avec la Pâque de Jésus ! C’est « le mémorial » de la Pâque de Jésus, de son « passage » de ce monde au Père, comme il est dit au début du chapitre 13 de l’évangile de Jean. En célébrant ce « mémorial » dans le cadre d’un repas, nous rendons grâce à Dieu pour ce moment où, par le grand mystère de sa Passion et de sa Résurrection, Jésus sauve le monde. Selon Marc, Jésus institua le sacrement eucharistique au cours d’un repas pascal, ce qui est chronologiquement impossible puisque Jésus fut crucifié la veille de la fête, avant le moment du repas pascal juif.
Évitant cette difficulté, l’évangile de Jean présente Jésus comme l’Agneau pascal ; Jean le Baptiste proclame dès le début du quatrième évangile : « Voici l’Agneau de Dieu ! » Les agneaux qui devaient être consommés au cours du repas pascal étaient mis à mort la veille de la fête, au début de l’après-midi. Or la fête juive de Pâque, cette année là, tombait un samedi ; on a donc mis à mort les agneaux le vendredi, au moment même où « l’Agneau de Dieu » était crucifié ! Pour saint Jean, la célébration eucharistique est donc le « mémorial » de la mort de Jésus, nouvel « Agneau pascal » mis à mort pour le salut du monde, pour le pardon des péchés : « Voici l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde », avait prophétisé Jean Baptiste.
Il y a deux aspects fondamentaux dans la célébration eucharistique. C’est d’abord un repas au cours duquel nous rendons grâce pour la présence du Ressuscité au milieu de sa communauté : comme les disciples au soir d’Emmaüs, nous le reconnaissons à la fraction du pain. Mais c’est aussi le « mémorial » du don que Jésus fait de lui-même par amour de nous tous, de l’offrande de sa propre vie sur la croix qui conduit au pardon de tous nos péchés et renouvelle la communion entre Dieu et l’humanité. Nous rappelons cela au moment de la consécration, en reprenant les paroles de Jésus : « ceci est la coupe de mon sang, le sang de l’Alliance nouvelle et éternelle, qui sera versé pour vous et pour la multitude, en rémission des péchés. »
Au chapitre 24 du livre de l’Exode, dont on lit aujourd’hui un passage (première lecture), les deux traditions sont déjà mêlées. Celle du repas fait suite à celle du sacrifice. Le passage qui fait immédiatement suite à celui de la première lecture de ce dimanche est celui-ci : « Moïse et les Anciens d’Israël montèrent vers Dieu. Ils virent Dieu. Sous ses pieds, il y avait comme un pavement de saphir aussi pur que le ciel. Ils contemplèrent Dieu. Ils mangèrent et ils burent » (Ex 24,9-11). Il est question ici d’un repas pris en présence de Dieu. La première lecture (Ex 24,3-8) relate un sacrifice de jeunes taureaux. Moïse répand le sang des taureaux sur l’autel et sur le peuple. Ce rituel sanglant nous étonne : il s’agit d’un vieux rite d’alliance entre Dieu et son peuple. L’auteur de l’épître aux Hébreux (He 9) fait une relecture étonnante de ce rite sanglant en l’appliquant au « sacrifice » du Christ qui est à la fois le grand-prêtre et la victime offerte ; en s’offrant lui-même, Jésus scelle la nouvelle alliance, définitive, entre Dieu et l’humanité, et l’offrande qu’il fait de lui-même est à la source de la rémission des péchés. Il ne s’agit plus d’un rite de purification extérieure par aspersion de sang comme autrefois, mais d’une purification intérieure qui atteint le plus intime de nos êtres et de nos consciences. Ces catégories qui viennent du vieux culte israélite nous déconcertent aujourd’hui car elles nous sont culturellement étrangères. Il convient néanmoins d’essayer de les comprendre pour découvrir la richesse symbolique de la relecture chrétienne qui en a été faite aux premiers temps de l’Église. L’offrande que Jésus fait de lui-même sur la croix est donc unique et définitive et elle abolit tous les autres sacrifices sanglants qui n’ont plus de raison d’être : seul le sang de Jésus, versé une fois pour toutes, obtient le pardon des péchés et introduit dans la vie éternelle : « Qui boit mon sang, dit Jésus, a la vie éternelle » (Jn 6,54).
Notre célébration eucharistique a donc de multiples significations : c’est la célébration du grand mystère du Christ qui donne sa vie pour le salut du monde ; c’est le « mémorial » du sacrifice sanglant du Christ qui a versé son sang sur la croix ; c’est la célébration de la Pâque victorieuse du Christ qui passe de la mort à la vie ; c’est la célébration de la Présence du Christ au milieu des siens dans le repas qui les rassemble ; c’est le repas où nous communions véritablement à la vie du Christ pascal et qui, en conséquence, nous unit les uns aux autres et construit la communauté de l’Église ; c’est la célébration de « l’action de grâce » (c’est le sens du mot « eucharistie ») que l’Église, rassemblée autour de Jésus ressuscité, adresse au Père dans l’Esprit-Saint, par le Christ, avec lui et en lui.
L’autel, qui est au centre de nos églises, est le signe de la présence du Christ, pierre de fondement de notre foi et de l’Église ; mais il symbolise aussi, comme son nom l’indique, « l’autel » du sacrifice du Christ, Agneau pascal, « immolé » (cf. 1 Co 5,7) pour la purification des péchés (cf. He 1,3) et pour sceller une alliance nouvelle (cf. Lc 22,20 ; 1 Co 11,25 ; He 9,15 ; 12,24) ; c’est encore la table du repas pascal autour de laquelle nous nous rassemblons pour célébrer la présence du Ressuscité dans la fraction du pain et où nous mangeons le corps et le sang du Christ qui fait de nous son Église : « Heureux les invités au festin des noces de l’Agneau » (Ap 19,9).
Dans la troisième prière eucharistique, le texte qui fait suite à la consécration reprend toutes ces dimensions : « En faisant mémoire de ton Fils, de sa Passion qui nous sauve, de sa glorieuse Résurrection… nous présentons cette offrande vivante et sainte pour te rendre grâce. Regarde, Seigneur, le sacrifice de ton Église et daigne y reconnaître celui de ton Fils qui nous a rétablis dans ton Alliance. Quand nous serons nourris de son Corps et de son sang et remplis de l’Esprit-Saint, accorde-nous d’être un seul corps et un seul esprit dans le Christ. »
Nous n’aurons jamais terminé de méditer la profondeur du mystère eucharistique, le grand sacrement de la vie chrétienne depuis les origines du christianisme. Il n’est pas étonnant qu’il ait conduit à de nombreuses relectures des traditions de l’Ancien Testament à la lumière du Christ Jésus. L’essentiel pour chacun de nous est d’en vivre aujourd’hui. Répondons sans hésiter au Seigneur Ressuscité qui nous invite à son repas pascal ; rassemblons-nous et rendons grâce dans l’Esprit Saint à Dieu notre Père.
Frère François-Dominique CHARLES, o.p.