Jacinthe est scandalisée. Et très sérieusement.
Voici ce qui est arrivé. Elle et moi, nous conversions tout bonnement quand surgit chez mon amie une question qui lui taraude l’esprit depuis toujours : «Qui est Dieu?» Seulement trois petits mots, mais trois mots qui peuvent occuper toute une vie. Et cela semble le cas chez Jacinthe.
Je répondis avec quatre autres mots : «Je ne sais pas!» Des mots tout simples, presque sans conséquence, du moins à première vue. Mais Jacinthe sursauta : «Comment un croyant comme toi, un religieux et un prêtre depuis presque un demi-siècle, peut répondre : ‘Je ne sais pas!’?»
C’est vrai que le prêtre que je suis ne sait pas. Personne sur la terre, pas même le pape, ne peut rien dire sur Dieu de science absolument scientifique! La foi n’est pas un savoir. Et le jour où nous saurons, nous cesserons de croire. Pour l’instant, je cherche, je pose des questions, j’avance des hypothèses. Bref, je talonne la réalité pour qu’elle s’expose à mon intelligence. Je harcèle la lumière de me révéler la vérité, toute la vérité, sur Dieu. Et je resterai un croyant tant et aussi longtemps que je continuerai le combat contre l’ombre et le voile qui me cachent la vérité.
J’ai des modèles de haut niveau dans ma quête. En tête de liste : Thomas, celui que Jésus appelle : «l’incrédule». Que dit-il ce Thomas apprenant que le Seigneur est ressuscité ? «Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je n’enfonce pas mon doigt à la place des clous et si je n’enfonce pas ma main dans son côté, je ne croirai pas.» (Jean 20, 25). L’apôtre attend une expérience scientifique. Il veut une preuve. Il veut toucher.
Eh bien, cet incrédule, on lui doit la profession de foi la plus avancée des évangiles. Quand il se trouve devant le ressuscité, huit jours après sa déclaration, il affirme : «Mon Seigneur et mon Dieu!» (20, 28) Saint Grégoire le Grand commente le Credo de l’apôtre : «Son scepticisme nous a été plus profitable que la foi des disciples qui ont cru.» (Homélie 26)
«Ce n’est pas en enfant que je crois au Christ et confesse ma foi; mon hosanna, il est passé par le grand creuset des doutes.» (Dostoïevski, cité par Timothy Radcliffe dans Pourquoi aller à l’église?, Cerf et Flammarion, p. 109)
Je ne peux donc pas soupeser ma foi au poids de mes connaissances. Avant tout, ma foi est une relation, un lien affectif. Et croire ne consiste pas à chercher la meilleure définition de Dieu. Ce que je peux dire de Dieu se résume dans les traces que notre amitié commune laisse en moi. Ce bout d’espérance qui germe dans ma vie. Cette confiance qui s’entête à me lancer en avant. Cette fidélité qui est trop souvent fragile mais qui tient le coup malgré les tempêtes.
Je ne sais pas Dieu, mais cela ne m’interdit pas de chercher à comprendre. Il m’est permis de faire appel à la science – la théologie est une science! – pour creuser le mystère de Dieu, tout en sachant très bien que ma science se limite à des hypothèses. Sans oublier que la recherche théologique doit marier le cœur à la tête. L’acte d’intelligence doit être aussi un acte d’amour.
«L’amour vient de Dieu, et quiconque aime est né de Dieu et parvient à la connaissance de Dieu.» (1 Jean 4, 7)